Un trio de choc pour Hamlet d'Ambroise Thomas

par

© Marc Vanappelghem

Depuis le début de sa saison 2016-2017, l’Opéra de Lausanne collectionne les succès en ayant présenté L’Orfeo de Monteverdi dans la production de Robert Carsen et La Vie parisienne dans celle de l’Opéra National du Rhin conçue par Waut Koeken. Et cette fois-ci, elle coproduit Hamlet avec l’Opéra de Marseille et la scène strasbourgeoise qui l’ont déjà présenté au cours de ces deux dernières années.

L’on ne s’attardera pas sur la mise en scène de Vincent Boussard se réduisant à régler les entrées et les sorties et à insérer le chœur dont il ne sait que faire dans les angles et les loges de coulisse. Il transpose l’action au XIXe siècle dans un décor glacial de Vincent Lemaire consistant en une salle de palais dont les parois sont recouvertes d’un glacis bleuté ; l’avant-dernier tableau se passe dans une chambre de bain verdâtre avec une baignoire ô combien prosaïque alors qu’une vasque aux larges proportions aurait rendue crédible la noyade d’Ophélie ; puis le cadre scénique s’élèvera pour laisser apparaître le tombeau de la malheureuse jonchée de lys blancs. Sous de suggestifs éclairages imaginés par Guido Levi, les costumes de Katia Dufflot jouent sur l’opposition du noir et du blanc que transpercera le velours rouge sang qu’arborera la reine mais qu’arrachera son fils pour laisser voir guêpière et bas résilles, sombres comme son crime !
Mais l’intérêt de la représentation réside dans le trio de choc constitué par les premiers plans. Pour la première fois, semble-t-il, le jeune baryton français Régis Mengus campe Hamlet dont il a la jeunesse ardente et la noirceur obsessionnelle confinant à la démence dans une élocution remarquable et un phrasé nuancé dont la pratique du rôle affinera l’expression. Lisette Oropesa, entendue en Gilda au Grand-Théâtre de Genève en septembre 2014, ne m’avait guère convaincu par son émission trémulante, alors qu’ici, son Ophélie produit un effet fulgurant par l’intelligence de la composition etle raffinement extrême de la palette de coloris qui trouve sa sublimation dans la célèbre scène de folie. Le personnage de la reine Gertrude est souvent dévolu à des voix de mezzo en fin de carrière, tandis que, sur ce plateau, Stella Grigorian impose une souveraine bourrelée de remords, s’accrochant à un semblant de dignité que lui procure son art de la déclamation tragique. Cherchant lourdement ses marques en début de soirée, Philippe Rouillon, au terme d’une longue carrière, a le mérite de remplacer un Claudius indisponible. Par contre, rayonne le Laërte de Benjamin Bernheim, jeune ténor genevois qui se fait un nom sur les plus grandes scènes, par la qualité du timbre et l’exquise musicalité. Prêtant sa basse profonde au Spectre du roi assassiné, Daniel Golossov fait impression face au Polonius fonctionnel de Marcin Habela. Alexandre Diakov et Nicolas Wildi qui personnifient d’abord Horatio et Marcellus sont ensuite d’une cocasserie grinçante en fossoyeurs. Et le dernier coup de chapeau ira au chef français Fabien Gabel qui, dès les premières mesures, sait créer une atmosphère de mystère dramatique à la tête d’un Orchestre de Chambre de Lausanne de grande précision et d’un Chœur de l’Opéra de Lausanne tout aussi cohérent préparé par Jacques Blanc. Un succès délirant au rideau final !
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, première du 5 février 2017

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