Troisième volet des Quatuors de Weinberg par les Arcadia

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Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Quatuors à cordes n° 4 en mi bémol majeur op. 20 et n° 16 en la bémol mineur op. 130. Quatuor Arcadia. 2022. Notice en anglais, en allemand et en français. 66.33. Chandos CHAN 20180.

Fondé en 2006 par des étudiants de l’Académie de Musique Gheorge-Dima, installée à Cluj-Napoca, cité du nord-ouest de la Roumanie, le Quatuor Arcadia s’est perfectionné ensuite à Vienne. Depuis 2017, il a entamé avec Chandos une collaboration dont a résulté, l’année suivante, une intégrale remarquée des quatuors de Bartók. Deux ans plus tard, c’est vers la production de Weinberg que l’ensemble s’est tourné. Deux albums ont déjà paru, regroupant les Quatuors 1, 2, 5, 7, 8 et 11. Voici le troisième volet d’une future intégrale des dix-sept numéros du compositeur, prévue en six CD.

Dans un petit texte intitulé « Une lumière dans l’obscurité », les membres du Quatuor Arcadia expliquent leur choix : Nous avons été instantanément captivés par une musique merveilleuse, des mélodies profondément inspirées et des structures à la forme parfaite. Tout en insistant sur la réponse positive du public lorsqu’ils interprètent Weinberg, les Arcadia précisent qu’ils ont l’intention de mettre en lumière ce phénomène profond et d’une grande diversité, négligée pendant si longtemps. On ne peut que leur donner raison, car jusqu’à présent, ne sont disponibles, pour la série entière, que la gravure du Quatuor Danel (CPO, 2014) et celle, très récente, du Quatuor Silésien pour le label Accord, dont nous n’avons pas encore eu connaissance.

Pour ce troisième volume, les Arcadia (Ana Török et Rasvan Dumitru, violons, Traian Boala, alto et Zsolt Török, violoncelle) ont choisi deux partitions d’époques différentes. Le Quatuor n° 4, dédié au Quatuor Bolchoï et créé à Moscou le 19 janvier 1946, a été composé l’année précédente. On ne reviendra plus ici sur les circonstances tragiques connues qui ont conduit Weinberg de sa Pologne natale en Russie, ni sur l’extermination de sa famille par les nazis. A Moscou, pendant la guerre, il s’est lié d’une amitié indéfectible avec Chostakovitch. D’autres événements éminemment douloureux vont jalonner son existence. La notice du musicologue et pianiste britannique David Fanning, spécialiste de Weinberg, auquel il a consacré un ouvrage en 2010, cite une étude de 1963 qui est censée résumer l’œuvre : Le premier mouvement abrite le début dramatique ; le deuxième se présente comme une toccata, le tableau de l’invasion ennemie ; le troisième est un requiem ; le quatrième, une image de l’enfance heureuse… l’épanouissement luxuriant de la vie en sa saison la plus vive et la plus joyeuse, comparable à l’éveil du printemps. Proche de Chostakovitch, dont le Quatuor n° 2 et le Trio n° 2 datent de la même année, Weinberg livre une partition vibrante et engagée, de plus de trente-cinq minutes, aux accents angoissés, marqués, pour un jeune homme de 27 ans qui a connu maintes épreuves qui ont construit sa maturité, par un lyrisme puissant et intensif. S’il ne faut pas prendre tout à fait au pied de la lettre le descriptif de l’étude citée - on peut mettre en doute le fait que le deuxième mouvement, indiscutable toccata, dépeigne un tableau de l’offensive ennemie -, on découvre des sonorités nouvelles que Weinberg reprendra dans des symphonies de ses dix dernières années. L’œuvre alterne les moments de désolation, de passion, d’expressivité sobre et de joie complexe que les Arcadia traduisent avec des accents d’une énergique retenue ou pleins de tension ravageuse. 

Trente ans plus tard, Weinberg compose son Quatuor n° 16, qui s’inscrit dans une suite de quatre, élaborée entre 1977 et 1981. Il est dédié à sa sœur Ester. Née en 1921, elle aurait pu avoir soixante ans lorsque le compositeur l’écrit dans les deux premiers mois de 1981, mais elle est décédée suite à l’invasion nazie (d’émouvantes photographies en sont proposées). L’œuvre se déploie dans un contexte dépouillé, mais dont l’intensité lyrique, toute pudique, s’accomplit dans un Lento, le troisième mouvement, de toute beauté. L’ambiance générale de cette partition créée par le Quatuor Borodine en 1984, a des échos bartokiens, avec un scherzo placé en deuxième lieu, comme Chostakovitch le faisait souvent, et des accents juifs complémentaires dans le Moderato final, avec un effet de glaçante dramatisation qui happe le cœur. Les Arcadia traduisent tous les bouleversements weinbergiens avec une ardeur contrôlée et un investissement communicatif, bien plus engagé que celui que le Quatuor Danel, quelque peu distancié, conférait à la partition. On attend avec impatience les autres albums de ces quatuors de Weinberg, qui ont décidément beaucoup à dévoiler sur la personnalité de leur créateur.

Son : 9    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

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