Un bouleversant Deutsches Requiem   

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Au cours de chaque saison, l’Agence Caecilia intercale plusieurs concerts exceptionnels dans sa série ‘Les Grands Interprètes’. Et c’est bien le mot ‘exceptionnel’ qu’il faut utiliser pour qualifier la remarquable exécution d’Ein deutsches Requiem op.45 de Brahms, donnée le 12 avril au Victoria Hall de Genève par le MDR Rundfunkchor et le Sinfonieorchester Basel sous la direction de Marek Janowski.

En premier lieu, le Chœur de la Mitteldeutschen Rundfunk, établi à Leipzig, est l’un des plus importants de la Société de radiodiffusion allemande ARD et a pour directeur artistique actuel le chef estonien Risto Joost ; et la qualité indéniable de chacun des registres contribue à une cohésion parfaite, ce qui lui octroie une palette de nuances expressives d’une rare richesse.

Quant à l’Orchestre Symphonique de Bâle, il fait montre d’une fusion et d’une souplesse tout aussi notoires sous la direction d’un Marek Janowski qui se métamorphose complètement lorsqu’il est confronté à la symbiose voix-orchestre, nous révélant son expérience de chef de théâtre chevronné, laissant au vestiaire la lourdeur bruyante dont attestaient ici deux symphonies de Schumann en décembre dernier.

Dans une extrême lenteur, les cordes graves imprègnent la première phrase chorale « Selig sind, die da Leid Tragen » d’un pianissimo douloureux qui laisse se répandre naturellement le souffle dramatique, avant de donner à la harpe le soin de faire miroiter une lueur d’espoir. Puis la timbale scande le péremptoire « Denn alles Fleisch ist wie Gras » comme une marche funèbre atteignant le paroxysme du tragique, d’où découlera un fugato rapide serpentant sous un ample legato qui entraîne le da capo du premier verset. Intervient ensuite Markus Eiche, baryton au timbre clair et à la diction incisive, interrogatrice dans « Herr, lehre doch mich » ; se dessine alors une véritable fugue dont soprani et ténors clament le tragique, que la page suivante irisera d’inflexions réconfortantes en une fluidité soutenue. S’y enchaîne le sublime « Ihr habt nun Traurigkeit » que le musicien ajouta pour évoquer le souvenir de sa mère récemment disparue ; il y faut le lyrisme éthéré d’une Lisa Della Casa, d’une Elisabeth Grümmer ou d’une Elisabeth Schwarzkopf que peine à nous restituer une Christina Landshamer correcte, manquant singulièrement de pureté dans un timbre trop rocailleux. La sixième partie, « Denn wir haben hie keine bleibende Statt », progresse inexorablement jusqu’à la seconde intervention du baryton qui dépeint le Jugement dernier provoquant rapidement la catharsis purificatoire à coup d’alti claironnants. Et la péroraison « Selig sind die Toten », s’appuyant sur la basse d’orgue des violoncelles et contrebasses, laisse sourdre une ferveur rassérénée sous l’entrelacs de lignes qui se déploient sous une lumière dorée.

Et l’impact émotionnel est tel qu’il provoque un silence médusé avant que n’éclatent les salves d’applaudissements délirants ô combien mérités !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 12 avril 2019

Crédits photographiques :Felix Broede

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