Un Brahms bouleversant par le duo Goerne/Eschenbach

par

0126_JOKERJohannes BRAHMS 
(1833 - 1897)
Lieder und Gesänge op. 32 – Lieder nach Gedichten von Heinrich Heine (op.85/96) – Vier ernste Gesänge op. 121
Matthias Goerne, baryton – Christoph Eschenbach, piano
2016-DDD-55’49-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Harmonia Mundi-HMC 902174

Au disque comme au concert, avec piano ou orchestre, Matthias Goerne et Christoph Eschenbach forment un couple musical qui ne cesse de séduire. Après un passage obligé - et réussi- par Schubert, les deux artistes se plongent dans l’univers plus sombre des opus de Brahms choisis ici. Avec plus de 200 pièces vocales – en tenant compte du fait que Brahms, très critique envers lui-même a certainement détruit une partie de son œuvre – le lied a marqué de manière significative la carrière créatrice de Brahms. Adoptant des textes d'auteurs divers (du sacré au profane), Brahms attache une place importante à l'accompagnement qui parfois devient presque autonome et place la ligne vocale en arrière-plan.
Le point sensible de ce disque est sans nul doute les Quatre chants sérieux que Brahms termine le 7 mai 1896, quelques jours avant la disparition de Clara Schumann des suites d’une attaque d’apoplexie. L’écriture musicale pour ces versets bibliques n’est plus celle de la jeunesse : style dépouillé, ligne mélodique objective, presque détachée de l’accompagnement pianistique, lui-même harmoniquement dense préférant une écriture verticale (accords) et les registres graves du clavier. Dans la même veine mais écrites cette fois à l’été 1864, les neuf pièces de l’opus 32 sur des textes et traductions d’autres écrits de Daumer et Platen se démarquent par le caractère solitaire qui n’est pas sans rappeler, comme le souligne Roman Hinke, le Wanderer du Voyage d’hiver de Schubert. Contrairement à l’opus 121, l’écriture est ici davantage horizontale et côtoie des thèmes qui touchent l’homme : mort, mélancolie, désespoir, doute… Ce style troublant, presque enivrant, finit par s’atténuer, s’apaiser en fin de parcours, permettant d’une manière remarquable d’enchaîner sur la douceur expressive des lieder sur des textes de Heinrich Heine.
Naturellement, Matthias Goerne et Christoph Eschenbach offrent une lecture époustouflante de ces pièces tant le duo s’imprègne du caractère dramatique de chaque pièce pour en donner une exécution d’une infinie justesse de ton. La voix lisse et profonde de Goerne s’associe au piano réactif et sensible d’Eschenbach qui, fort d’une longue carrière de chef d’orchestre, appose à la partition des couleurs, dynamiques et émotions que seul l’orchestre parvient à créer. Un hommage vibrant et significatif qu’il ne faut surtout par rater !
Ayrton Desimpelaere

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10

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