Un concours de musique est-il politique ? 

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C’est le sujet dont tout le monde parle depuis la proclamation des résultats du Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique 2024 : le refus du vainqueur ukrainien Dmytro Udovychenko de serrer la main du Russe Vadim Repin, l’un des membres du jury qui l’a couronné. Deux camps s’opposent : les partisans d’un acte courageux d’un artiste de caractère et de conviction qui ne s’en laisse pas conter et ceux qui pensent que c’est hors de propos dans un tel contexte d’autant plus que le jeune homme ne semble pas avoir remis en cause les points de Vadim Repin dont la présence comme juré (et ancien lauréat du concours) n’était en rien une surprise car annoncée par voie de communiqué de presse et publiée sur le site du CMIREB. Pourtant son choix du concerto n°1 de Dmitri Chostakovitch en finale et l’interview qu’il avait donné témoignaient alors de l’intelligence d’une vision fédératrice.   

Bien évidemment, personne ne peut remettre en cause, ni douter de la douleur intense que ressent Dmytro Udovychenko de voir son pays en guerre, des civils attaqués, des familles endeuillées, des parents mobilisés que l’on ne sait si on les reverra.  Cependant, la finale d’un concours de musique est-elle le lieu opportun ? Sans doute pas ! 

Déjà cette attitude crée un buzz occultant complètement le palmarès et la musique pour se porter sur le terrain politique, certes, on va en parler au-delà des cercles des professionnels et mélomanes exigeants qui suivent le concours, mais est-ce que cela va servir tant la musique, le concours que l’artiste lui-même ? C’est peu probable. 

Car si dégât collatéral il y a, ce sera Dmytro Udovychenko qui risque d’en faire les frais. Internet et les réseaux sociaux ont la mémoire éternelle (rappelons-nous de la séquence lunaire avec Pierre-Alain Volondat lors d’une interview télévisée de 1982 qui colle toujours à la réputation de ce brillant musicien et lui a même beaucoup nuit…), son geste risque de le poursuivre. Il sera plus “‘celui qui a refusé de serrer la main de Vadim Repin” que le “vainqueur du Reine Elisabeth 2024”. 

Derrière les sourires et les congratulations de façade, le monde de la musique classique est d’une violence assez hallucinante, et le darwinisme total est la norme. Tout comme dans le sport de haut niveau, les fortes-têtes ne sont plus trop appréciées et tout est en mode self-contrôle pour éviter tout dérapage d’emblée sanctionné avec une vigueur parfois interpellante et injuste. On ne peut que le regretter mais c’est ainsi et cette évolution sociétale est globale.  

Dans la phase de crise complète qui est la sienne, la musique classique déjà bien amochée et marginalisée, n’a également pas foncièrement besoin de tels clivages et de divisions et c’est à la jeunesse de construire et de jeter des ponts pour le futur et l’humanisme devrait être un vecteur essentiel de ce qui doit faire des arts en monde à part, loin des tempêtes et des tumultes des ces temps sombres.      

Pierre-Jean Tribot

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