Eden, Fall : éther, intermède, tourment
Eden, Fall. Melaine Dalibert (1979-) ; Melaine Dalibert. 54’44" – 2024 – Livret : français. Ici, d'ailleurs / Mind travels. MT020.
Au travers d’un travail à plusieurs faces, Melaine Dalibert (1979-) promène son piano dans le répertoire, contemporain, d’une musique savante ouverte aux rencontres populaires : le Rennais joue Julius Eastman, Tom Johnson, Gérard Pesson ou Sylvain Chauveau, enseigne son instrument au conservatoire de sa ville natale, y dirige la programmation du festival Autres Mesures et compose des pièces qui, poussées par une écriture à la fois expressive et formalisée s’exonèrent du temps.
Pour Eden, Fall, il pose ses mains, dans une sorte de grand écart, sur trois pièces aux dissemblances affirmées : la plus courte, Jeu de vagues, centrale, prend pour corps le roulis courtois des masses d’eau chatouillant la plage à la marée montante ; Fall, sensiblement plus rêche, martèle une fureur assourdie qui peu à peu déborde du simple rythme pour assembler des notes revanchardes, groupées, comme un pic-vert courroucé œuvrant à reconstruire le nid qu’on lui a détruit – le temps évolue lentement, donnant au son une musicalité qu’on ne voit pas venir, qui fait penser à Charlemagne Palestine ou Julius Eastman ; le temps, Dalibert l’étire, le déforme, le sculpte, comme une plasticine d’enfant, dans Eden, plus de 37 minutes d’une plénitude rare, où il égrène les notes du piano avec une parcimonie patiente et construite, sur un lit sonore s’épanchant discrètement en arrière-plan – on pense à Morton Feldman ou Brian Eno (Eden), puis on ne pense plus à rien et on se laisse prendre à un lente expansion qui, sans avoir l’air d’y toucher, élargit notre territoire imaginaire.
Son : 8 – Livret : 5 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8
Bernard Vincken