Un enchantement baroque

par

On met pas mal à l’affiche ces temps-ci des opéras de Francesco Cavalli (1602-1676). Ce compositeur est dans « l’air » du temps comme le prouve d’ailleurs un disque tout récent que vient de lui consacrer Philippe Jarousski.

Certains n’auront pas oublié la Calisto de La Monnaie dans l’inventive et réjouissante mise en scène d’Herbert Wernicke.

Son Erismena, créée à Venise pendant la saison 1655-1656 avec un succès concrétisé pendant presque vingt ans par de nombreuses reprises dans la Cité des Doges et un peu partout en Italie, a été l’un des événements du Festival d’Aix-en-Provence en 2017. La revoilà à Luxembourg.

L’œuvre en elle-même ne manque pas de charmes. Je ne parle évidemment pas de son intrigue impossible à comprendre à la simple lecture de son synopsis. Au concours du livret le plus compliqué, elle serait incontestablement dans le Top 10 avec ses déguisements, ses travestissements, ses identités dissimulées ou ignorées, ses révélations en coups de théâtre, ses retrouvailles (« mon frère ! », « ma fille ! »). N’empêche que ce livret ne manque ni d’impertinence ni de politiquement incorrect, ni d’humour – notamment à propos de nos vies amoureuses - ce qui, suscitant des échos contemporains, le rend absolument savoureux.

Sa partition, du moins celle que Leonardo García Alarcón, le chef à Aix comme à Luxembourg, a choisie et arrangée-éditée, est notamment d’une grande richesse lyrique avec ses nombreux et magnifiques airs. La Cappella Mediterranea -étoffée en onze musiciens et quatorze instruments, et bien en vue/en ouïe dans une fosse surélevée- la sert et l’exalte comme il convient.

Mais ce qui entraîne également l’adhésion enthousiaste, c’est le remarquable travail de conception scénique de Jean Bellorini, le metteur en scène décorateur. Son Erismena est réellement baroque, non pas dans une reconstitution pseudo-réaliste des apparences architecturales et vestimentaires de l’époque, mais dans l’esprit. Baroque, parce que c’est inattendu, décalé, surligné, mais toujours, et c’est essentiel en ces temps de concepts lourdauds, avec l’élégance souriante d’une extrême légèreté.

L’espace de jeu essentiel, c’est un immense sommier métallique suspendu, que deux techniciens installés sur un côté du plateau mobilisent : en position horizontale, il monte et descend ; et il s’incline et se redresse en position verticale. Les personnages sont dessus, dessous. Tels sont ainsi unifiés tous les lieux des multiples situations rebondissantes. Une façon de faire qui attise l’attention. Les lumières, elles aussi, ont leur rôle baroque à jouer : certaines forment un si joli bouquet de lampes, d’autres éclatent systématiquement pour ponctuer le chapelet des révélations improbables.

Quant aux personnages, ils sont baroquement caractérisés eux aussi. Au premier coup d’œil, leurs costumes conçus par Macha Makeïeff, « plutôt déstructurés », m’ont interloqué. En fait, ils sont exactement dans la tonalité générale du propos. Très bien dirigés, les jeunes interprètes sont excellents comédiens. L’énergie de Judith Fa (Erismena), Norma Nahoum (Aldimira), Jakub Józef Orlinski (Orimeno) assure le rythme sans faille de la représentation. Alexander Miminoshvili (Erimante) et Carlo Vistoli (Idraspe) sont au diapason de leurs personnages aux émotions compliquées. Andrea Vincenzo Bonsignore, Paul Figuier, Fabien Hyon et Fiona McGown complètent comme il convient « l’arpège » des protagonistes. Une mention visuelle spéciale peut être faite d’Alcesta, la nourrice, incarnée par Patrick Kilbride, un homme « enveloppé » (comme dirait Obélix), maître en minauderie, une espèce de Hardy (sans Laurel).

Oui, un enchantement baroque !

Grand Théâtre de Luxembourg – 28 mars 2019

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques :  Pascal Victor

 

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