Un film sur l’amour de Richard Wagner et Mathilde Wesendonck

par

The Zurich affair, Wagner’s one and only Love. Film en couleurs de Jens Neubert. Sophie Auster (Mathilde Wesendonck), Joonas Saartamo (Richard Wagner), Julienne Pfeil (Minna Wagner), Rüdiger Hauffe (Otto Wesendonck), Patrick Rapold (Franz Liszt), Michael Volle (Le Chanteur), et une trentaine d’autres comédiens. Musiques de Richard Wagner, Franz Liszt, Ludwig van Beethoven. 2021. Version anglaise. Sous-titres en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. 116’00’’. Un DVD Naxos 2.110758. Aussi disponible en Blu Ray.

Les fims consacrés à la biographie de Richard Wagner ne sont en fin de compte pas légion ; il ne faut donc pas les négliger lorsqu’ils font leur apparition. Le premier d’entre eux, muet, date de 1913, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Au temps du cinéma parlant, on relève, parmi les productions qui s’intéressent directement au compositeur (car il apparaît accessoirement dans des fims consacrés par exemple à Liszt, dont le magnifique Bal des adieux de Charles Vidor en 1960 avec un Dirk Bogarde/Liszt plus vrai que nature, Wagner étant joué par Lyndon Brook), celui de 1954, Magic Fire (en français : Richard Wagner et les femmes) de l’Allemand naturalisé Américain Wilhelm Dieterle, avec Alan Badel en Richard Wagner, Valentina Cortese en Mathilde Wesendonck, et Yvonne de Carlo en Minna, son épouse. Ludwig - Le Crépuscule des dieux de Visconti en 1973 apparaît comme le plus médiatisé, régulièrement rediffusé en télévision, avec Trevor Howard (Wagner), Helmut Berger (Louis II de Bavière) et Romy Schneider (à nouveau Elisabeth d’Autriche après les Sissi de sa jeunesse). Il est suivi dix ans plus tard par le Richard Wagner de Tony Palmer sur lequel nous reviendrons. On ne retiendra guère Wahnfried : Richard et Cosima de Peter Patzak (1986), et encore moins le satirique et pénible Celles qui aimaient Richard Wagner de Jean-Louis Guillermou (2011), avec un passable Jean-François Balmer dans le rôle principal, un inénarrable Stéphane Bern (!) incarnant Louis II, et une brève apparition de Roberto Alagna.

C’est au réalisateur allemand Jens Neubert (°1967) qui a signé en 2010 Hunter’s Bride autour du Freyschütz de Carl Maria von Weber, que l’on doit le présent The Zurich Affair. Wagner’s one and only Love. Excellente idée de consacrer un film à l’amour entre le compositeur et Mathilde Wesendonck (1828-1902), passée définitivement à la postérité grâce aux cinq lieder composés en 1858 sur des poèmes de la jeune femme et qui portent son nom. Le scénario de Jens Neubert résume bien cette histoire connue. On assiste aux tribulations de Wagner, exilé en Suisse, à son installation progressive dans la société du temps et aux querelles avec son épouse Minna. Après la rencontre avec le couple Wesendonck en 1852, des liens se créent de façon progressive ; ils aboutiront en 1857 à l’installation dans des habitations voisines, facilitant la relation entre Mathilde et Richard, au fameux épisode de la lettre interceptée par Minna, aux réactions du mari et à l’éloignement du compositeur. Des scènes montrent Wagner dirigeant, faisant répéter un ensemble de cuivres ou donnant des indications à un chœur ou à un chanteur (le baryton Michael Volle, impressionnant). Mais aussi des lectures publiques du livret de Das Rheingold, les conditions de vie du créateur, la venue de Liszt et les balades accomplies avec lui en montagne, sans oublier l’écriture de Tristan et Isolde, symbole de l’amour impossible entre Mathilde et Richard. Tout cela est filmé de façon léchée, allusive, parfois un peu évasive, mais la vision est agréable, d’autant plus que les images de la campagne, du lac et des hauts sommets sont splendides. La reconstitution du milieu zurichois est soignée, avec d’élégants costumes d’Odile Hauteville. On entend beaucoup de musique, de Wagner (tirée de plusieurs opéras et un court moment des Wesendonck-Lieder), de Liszt et de Beethoven (un écho de la Neuvième). Pour cela, il a été fait appel au London Symphony Orchestra, dirigé de façon correcte par le Dresdois Eckehard Stier (°1972), chef principal de l’Orchestre Massimo Bellini de Catane, mais aussi à Andreas Haefliger, Annika Treutler et Hiroko Imai, tous trois au piano. Les interventions musicales respectives sont détaillées dans la (maigre) notice. 

Au niveau du casting, c’est l’interprétation de la jolie et gracieuse américaine Sophie Auster (°1987), qui domine. La fille du célèbre romancier Paul Auster est aussi autrice, compositrice et interprète. Elle a publié des albums, dont l’un s’inspire de poètes français, et a tourné dans quelques films, dont celui que son père a réalisé : La Vie intérieure de Martin Frost (2007). Elle incarne Mathilde Wesendonck avec beaucoup de sensibilité, de retenue et d’expressivité. A ses côtés, le Suisse Rüdiger Hauffe est un époux digne, généreux et attentif, mais pas dupe. C’est aussi une actrice suisse, Julienne Pfeil, qui endosse le personnage parfois hystérique de Minna, entre désespoir et colère. Les autres (nombreux) rôles sont en général bien distribués, du Franz Liszt de Patrick Rapold au Hans von Bülow de Luca Leonetti. On a même droit à une courte apparition de Cosima (Lisa Brand), ce qui permet une allusion à la rencontre, à peine esquissée et comme en rêve, de Minna et Mathilde avec elle. Reste le héros principal. C’est un comédien finlandais qui a été choisi pour Richard Wagner : Joonas Saartamo (°1980), qui a tourné une vingtaine de films, dont le docudrame Silence (2011). C’est à nos yeux une déception : son charisme limité, sa présence et son jeu monolithiques, ses attitudes, exaltées ou détachées, ne le rendent guère convaincant, notamment dans les (rares) moments d’abandon physique avec Mathilde.

Tout cela donne un film qui, s’il n’est pas à négliger, risque de ne pas devenir une référence pour un public déterminé. En effet, proposé en anglais et parsemé de suisse allemand, il annonce des sous-titres en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. Rien pour les francophones, qui espèrent se rabattre au moins sur les sous-titres en anglais pour pouvoir suivre les dialogues. Mais il faut vite déchanter : seuls les passages en langue allemande (notamment des paroles d’opéras) sont traduits, l’écran demeurant silencieux pour les autres dialogues. C’est frustrant, car ceux qui parlent allemand, japonais ou coréen bénéficient de l’intégralité de ces fameux sous-titres. Snober le marché francophone pour un tel projet serait-il le signe d’une fâcheuse et dommageable désaffection ? On signalera encore l’existence d’un bonus de onze minutes (sans le moindre sous-titre) dans lequel le baryton Michael Volle promène le spectateur à Zurich, devant l’Opéra local, l’ancienne maison habitée par Wagner en centre-ville, et la Villa Wesendonck, devenue musée. Ce bonus propose, au cours de l’exposé, quelques extraits du film. 

Ceux qui possèdent le grandiose Wagner filmé par Tony Palmer en 1982/83, dans un passionnant scénario de Charles Wood, continueront de préférer la relation Richard/Mathilde racontée dans cette version. Tourné somptueusement à l’occasion du centenaire de la disparition du compositeur, le montage original en haute définition, d’une durée de 7 heures et 46 minutes, a été proposé sur DVD par l’un ou l’autre distributeur (avec des couvertures différentes), mais surtout par Gonzo multimedia (2011) qui s’est donné la peine, avec des images en couleurs à couper le souffle, d’ajouter des sous-titres en sept langues : anglais, allemand, italien, espagnol, portugais et japonais. Mais aussi totalement en français (attention : d’autres ne les proposent pas). Ce qui permet au spectateur, fasciné, de découvrir la biographie de Wagner, découpée en épisodes titrés, facilement accessibles. Dont celui de l’amour entre Mathilde Wesendonck et le compositeur, passionné et admirablement servi par Richard Burton, extraordinairement crédible dans son dernier grand rôle (il devait mourir en 1984). Marthe Keller, au sommet de sa beauté, est une émouvante Mathilde. On y ajoute Richard Pasco en Otto Wesendonck et Gemma Craven en Minna, mais aussi, la Cosima de Vanessa Redgrave, qui crève l’écran autant que Burton et va se révéler par la suite une copie presque conforme de l’authentique égérie. Cerise sur le gâteau : c’est Sir Georg Solti qui dirige somptueusement l’abondante musique, à la tête de trois orchestres : le Philharmonique de Londres, le Philharmonique de Vienne et le Symphonique de Budapest. Dans la distribution, il y a aussi, dans de petits rôles, Gwyneth Jones, Jess Thomas, Heinz Zednik ou Yvonne Kenny. De quoi se régaler !

The Zurich Affair, le film de Jens Neubert, fait un peu office de carte postale face à ce monument cinématographique admirable qui n’a rien perdu de sa puissance évocatrice et qui est, à nos yeux, prioritaire. Mais découvrir une nouvelle approche demeure enrichissant, en particulier si l’on est vierge de tout autre souvenir d’images.    

Note globale : 7

Jean Lacroix       

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