Un portrait du violoniste Jean Fournier rappelle son élégante musicalité 

par

Œuvres de Ludwig van Beethoven (1770-1827), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Igor Strawinsky (1882-1971), Ernest Bloch (1880-1959), Jean Martinon (1910-1976), Josef Suk (1874-1935), Claude Debussy (1862-1958), Gabriel Fauré (1845-1924), Joseph Haydn (1732-1809), Franz Schubert (1797-1828), Johannes Brahms (1833-1897), Antonín Dvořák (1841-1904), Fritz Kreisler (1875-1962), Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Manuel de Falla (1876-1946) et Isaac Albéniz (1860-1909). Jean Fournier, violon ; Ginette Doyen, Paul Badura-Skoda, André Collard et Jacques Février, piano ; Antonio Janigro et Pierre Fournier, violoncelle ; Orchestre de l’Opéra d’État de Vienne, direction Milan Horvat et Hermann Scherchen. 1952-1957. Notice en allemand et en anglais. Environ onze heures de musique. Un coffret de 10 CD Profil Hänssler PH22003.

Le violoncelliste Pierre Fournier (1906-1986) et son frère cadet, Jean Fournier (1911-2003), tous deux nés à Paris, ont eu pour grand-père le sculpteur Léopold Morice (1843-1920), auteur, avec son frère, l’architecte François-Charles Morice (1846-1919), du Monument à la République sur la place du même nom, mais aussi d’anges sur le pont-Alexandre III. Gabrielle Morice, fille du sculpteur, épouse Gaston Fournier, qui deviendra général dans l’Armée française. Les frères vivent dans un milieu où la musique tient une place importante, et tous deux vont faire leurs études au Conservatoire de la capitale. Jean Fournier reçoit aussi des leçons privées de George Enesco et de Jacques Thibaud. Sa carrière va se développer comme soliste avec de grands orchestres français, mais aussi dans toute l’Europe, ainsi qu’en Afrique du Nord et du Sud, en Inde et en Extrême-Orient. Excellent chambriste, il forme un duo avec la pianiste Ginette Doyen (1921-2002), devenue son épouse en 1946, et, au cours des années 1950, un trio de haut niveau avec Paul Badura-Skoda (1927-2019) et Antonio Janigro (1918-1989). Professeur au Conservatoire national supérieur de Paris, il donne également des cours au Mozarteum de Salzbourg et des cours d’interprétation à Varsovie. Ce collectionneur d’instruments anciens dont la notoriété a été quelque peu occultée par la célébrité de Pierre, son frère violoncelliste, a toutefois laissé une discographie significative, dont le présent coffret-hommage est un écho très convaincant.

 

La musique de chambre occupe la plus grande partie de ce florilège : deux CD pour le duo Fournier/Doyen dans une intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven réalisée à Paris entre avril 1952 et avril 1954, et un troisième pour la sonate en sol mineur de Debussy (Vienne, novembre 1953) et les deux sonates de Fauré op. 13 et 108 (Paris, avril/mai 1952). La complicité entre les époux se manifeste chez Beethoven à travers un discours empreint de sérénité, de lyrisme sonore, de liberté et de spontanéité. L’élégance, caractéristique du jeu de Jean Fournier, est bien mise en évidence par le clavier souple et clair de Ginette Doyen, qui a été l’élève de Lazare Lévy et a mené elle aussi une belle carrière internationale. Le couple fait étalage d’une musicalité séduisante, que l’on découvre à son apogée chez Debussy (poésie, charme, variété des accents et des couleurs) et chez Fauré (clarté de l’architecture, engagement, préservation de l’esprit français). 

 

Belle mise en évidence aussi du trio Fournier/Badura-Skoda/Janigro dans des pages réparties sur plusieurs CD : Trios KV 542 et 564 de Mozart, auréolés d’un classicisme raffiné, Trio op. 97 « Archiduc » de Beethoven, allègrement épique, Trios Hob. XV :16 et XV :25 de Haydn, tout en souplesse, Trio D. 898 de Schubert à la plaisante fraîcheur, Trio op. 8 de Brahms, où s’exprime un vrai bonheur de jouer ensemble, sensation que l’on éprouve tout autant dans le Trio « Dumky » op. 90 de Dvořák, particulièrement passionné. Tout cela a été enregistré à Vienne en 1953 (sauf le Beethoven et le Schubert, gravés l’année précédente). De purs moments de bonheur chambriste qui rappellent combien ce trio avait la capacité de la connivence. La collaboration entre les deux frères Fournier est documentée sur le dernier CD, un peu comme un bonus, par une gravure plus ancienne qui date de 1937 : le Trio XV :29 de Haydn, avec, au piano, Jacques Février, alors âgé de 26 ans. La jeunesse des trois instrumentistes se traduit dans leur joie du partage.

 

Des exemples de l’art de Jean Fournier avec orchestre sont aussi à l’affiche : Concertos n° 3 KV 216 et n° 5 KV 219 de Mozart, bien articulés, avec l’Orchestre de l’Opéra d’État de Vienne (1952) mené par Milan Horvat (1919-2014), Double Concerto de Brahms de 1951 avec la même phalange dirigée par Hermann Scherchen (1891-1966). Le partenaire, c’est encore une fois Antonio Janigro, pour une version vigoureuse et altière, de belle tenue. D’autres aspects de l’art de Jean Fournier sont encore mis en lumière : la Sonatine op. 32 n° 1 pour violon seul de Jean Martinon (1956), que le compositeur/chef d’orchestre lui avait dédiée en 1943, les 4 Pièces op. 17 pour violon et piano de Josef Suk (1956), la Suite italienne de Strawinsky, Nigun de Bloch et diverses pièces divertissantes de Kreisler, Albéniz ou Manuel de Falla. Pour ces gravures de 1956/57, l’accompagnement pianistique est confié à l’attentif André Collard (1911-1979).

Ce panorama vient rappeler avec opportunité l’élégante musicalité du virtuose Jean Fournier, qui méritait bien cet hommage. On peut déplorer que la notice ne soit pas plus explicite quant aux gravures, dont certaines ont été disponibles en leur temps chez Westminster, Whitehall, Heliodor, World Records, La Voix de son maître, etc. Quoiqu’il en soit, leur réunion est bienvenue dans ce coffret dont la remastérisation a été bien travaillée.

Son : 8  Notice : 4  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

 

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