Un regard clair sur le Prokofiev soviétique
Serge PROKOFIEV (1891-1953) : Cantate pour le 20ème anniversaire de la révolution d'octobre, op. 74. Ernst Senff Chor, Berlin, Staatskapelle Weimar, Mitglieder des Luftwaffenmusikkorps Erfurt, dir.: Kirill KARABITS. Live - 2017-41' 53''-Notice en allemand et en anglais-chanté en russe-textes chantés traduits en allemand et en anglais-Audite 97.754
Kirill Karabits vient d'enregistrer une belle intégrale des symphonies de Prokofiev chez Onyx, avec le Bournemouth Symphony Orchestra, fort bien accueillie. Voici qu'il poursuit son exploration du compositeur russe par une de ses oeuvres les plus réalistes-socialistes et, il faut l'avouer, pas vraiment une réussite. Cette cantate symbolise à la perfection l'art officiel soviétique.
Composée pour grand effectif (dont banda de cuivres et orchestre d'accordéons), écrite sur des textes communistes de 1848 (le fameux "Manifeste" de Marx) à 1936 (la Constitution), elle n'a été créée qu'en 1966, car refusée par les autorités du vivant de Prokofiev. Que faut-il en penser ?
Pas trop de bien, hélas. L'inspiration mélodique, si innée chez Prokofiev et qui reste sa plus belle qualité de musicien, se révèle peu abondante ici, au contraire de partitions, toutes aussi politiques, comme Zdravitsa ou La Garde de la paix. Karabits réussit bien les pages purement orchestrales, comme la "Symphonie" qui précède le finale, enlevée tel un passage oublié de la 5ème symphonie. Le gros morceau est évidemment le 6ème mouvement, spectaculaire, intitulé "Révolution" (9' 31''), dans lequel interviennent les accordéons. Malgré tous ses efforts, Prokofiev n'égale pas la puissance d'évocation de la "Bataille des glaces" d'Alexandre Nevski que le morceau évoque parfois. Signalons aussi ce "Serment", le n° 8 de la partition, hymne écrit à Lénine par Staline, supprimé lors de la création en 1966 et ici rétabli. On y jure, en six serments, de respecter les principes du communisme international. Le dernier mouvement, "La Constitution", reprend des extraits du 8e Congrès du PCUS. On est évidemment bien loin du Prokofiev des concertos ou des ballets occidentaux. Mais cela reste du Prokofiev et donc toujours intéressant. Surtout dans cette approche de Karabits, très ouvert à ce Prokofiev parfois déconcertant.
Bruno Peeters
Son 10 - Livret 8 - Répertoire 7 - Interprétation : 10