Une représentation en crescendo

par

© Opéra National de Lorraine

« Un Ballo in maschera »
A Nancy, et à Luxembourg ensuite (les 17, 20 et 22 avril), c’est la version originale du « Ballo in maschera » qui est représentée :
l’action, qui s’inspire d’un événement historique réel, se situe donc bien en cette Suède que la censure napolitaine refusait. La partition, elle, est le résultat d’une récente nouvelle édition critique. Un retour bienvenu aux sources de l’inspiration verdienne.
L’intrigue met en évidence « un beau personnage », celui de Gustave III, roi de Suède, amoureux d’Amelia, la femme d’Anckarström, son secrétaire et ami. Il l’aime d’un amour pur. Les circonstances vont précipiter la tragédie : l’intervention prophétique d’Ulrica, une devineresse, un quiproquo dans un cimetière où se dressent des potences, la colère vengeresse du mari conjuguée à un complot d’insurgés, le tout culminant dans une scène de bal.
Envisagé dans une perspective purement réaliste, tout cela deviendrait vite mélodramatique. On brasserait des sensations fortes.
Waut Koeken, le metteur en scène, a eu la bonne idée d’une représentation distanciée sans excès (ce jeune homme raffiné et distingué n’est pas homme à provoquer), qui va crescendo. Dès le premier acte, il nous invite à une représentation dans la représentation, à du théâtre dans le théâtre. On vit et on « joue », ce qui est, pour moi, l’essence même du théâtre et de l’opéra : trouver un juste équilibre entre l’identification et le recul réflexif, assister à une « représentation », dans toute sa construction scénique, et la vivre, la ressentir, comme si elle était réelle. De plus, la dimension de « jeu » allège le propos, permettant notamment dans ce cas de mieux saisir les nuances de la partition.
Ceci étant, le premier acte de Waut Koeken est plutôt classique dans sa caractérisation des personnages, dans leur mise en évidence (fumées, éclairs, danseurs-valets, trappe, boule de cristal pour la devineresse, vêtements d’apparat pour le souverain). Mais c’est une bonne façon de nous amener à ce qui va suivre.
A l’acte deux, celui du cimetière, des potences, du quiproquo, le metteur en scène s’efface d’abord : dans un décor simplement suggestif, sans que rien ne vienne distraire le spectateur, il n’y a plus que deux personnes qui à la fois s’aiment et ne peuvent s’aimer. Humainement, musicalement, vocalement, c’est superbe.
Quand le rideau se lève pour le troisième tableau de l’acte III, celui du bal masqué, de la tragique résolution, la salle éclate en applaudissements quand elle découvre un superbe décor baroque (je n’en dis rien pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui découvriront encore le spectacle). C’est l’aboutissement de tout ce que la mise en scène a mis peu à peu en place. Cette fois encore, pour le spectateur, s’accomplit le paradoxe de ces œuvres-là : il se réjouit d’une tragédie, ou plus exactement de sa représentation.
Il convient évidemment de saluer l’ingéniosité des décors de Luis F. Carvalho et les lumières de Nathalie Perrier, « complices » efficaces de Waut Koeken. Et de répéter combien la mise en scène de celui-ci garantit aux spectateurs la meilleure perception de la partition de Verdi. Chacun peut ainsi apprécier la façon dont Rani Calderon et l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy en font survenir les différentes atmosphères et le climat général. La distribution réunie n’a pas raté la chance qui lui était offerte. Personnellement, j’ai été subjugué par l’Ulrica devineresse d’Ewa Wolak (présence-puissance). J’ai été touché par la traduction vocale du douloureux parcours de l’Anckarström de Giovanni Meoni. J’ai apprécié le chant douloureux de l’Amelia de Rachele Stanisci et partagé la générosité incomprise du Gustave III de Stefano Secco.
Stéphane Gilbart
Opéra de Nancy-Lorraine, le 26 mars 2018

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