Une révélation

par
Huber-Juon

Hans HUBER
(1852 - 1921)
Concerto pour violon et orchestre n° 2 en ré mineur
Paul JUON
(1872 - 1940)
Concerto pour violon et orchestre n° 1 en si mineur, op. 42
Maria Solozobova (violon), Collegium Musicum de Bâle, Kevin Griffiths (direction )
2017 - DDD- 55’15- Textes de présentation en allemand et anglais- Sony Classical S80320C/80358118320

Voici le genre d’enregistrement qu’on voit arriver avec plaisir. Un répertoire absolument inconnu dans des interprétations plus que correctes, proposant un véritable enrichissement de la discographie du concerto pour violon post-romantique qui ravira sans aucun doute les discophiles croyant déjà avoir rempli leurs rayons de cd de tout ce qui se fait en la matière.
Le disque s’intitule « Une révélation », sans qu’on sache trop si ce terme s’applique à la soliste Maria Solozobova ou -ce qui me semble plus juste- au rare répertoire helvétique qu’elle défend vaillamment. La notice très documentée nous apprend que Hans Huber fut un actif participant à la vie musicale de Bâle dès 1877, tant comme pianiste que comme compositeur. Il s’engagea ensuite dans la réforme de l’enseignement musical de la ville, dont il fonda le Conservatoire en 1905 qu’il dirigea jusqu’en 1917 quand le diabète le contraignit à prendre sa retraite dans le Tessin.
Ce premier enregistrement du Deuxième concerto de Huber (1885) permet de découvrir une oeuvre assez brève (18’12) et d’un seul tenant, qui nous montre un compositeur post-brahmsien au métier solide (acquis durant ses études à Leipzig) mais sans originalité particulière. Huber instaure sans peine un ambiance automnale et sombre au début de l’oeuvre, alors que certains épisodes ultérieurs, plus gais, font plutôt penser à Mendelssohn et que les passages en imitation montrent que Huber connaissait bien son Bach et son Beethoven. Se détachant sur une orchestration assez compacte, l’écriture violonistique est assez convenue: cantilènes, arpèges, doubles cordes. Le romantisme tardif de Huber -conventionnel mais plaisant- plaira certainement à ceux qui apprécient Bruch ou Vieuxtemps (qui lui sont cependant bien supérieurs).
Pour Juon en revanche, on peut vraiment parler de révélation. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le compositeur russo-suisse (ses grand-parents avaient émigré des Grisons en Russie, où il fit ses études au Conservatoire de Moscou, avant de s’établir à Berlin puis à Vevey) est une espèce de chaînon manquant entre Tchaikovsky et Stravinsky. Composé en 1909, le Premier concerto pour violon frappe par son langage assez avancé (on est à mille lieues du style assez timoré de Huber). Ainsi le Moderato initial commence par des rythmes tranchés où l’influence du folklore russe est immédiatement audible alors que l’orchestration frappe par sa transparence. On a vraiment l’impression que la musique annonce Petrouchka, mais ça ne dure pas longtemps car le deuxième thème, un peu sucré, renvoie nettement à Tchaikovsky, tout comme l’opulence orchestrale (Rimsky-Korsakov n’est pas loin non plus). Le deuxième mouvement est une Romance qui instaure une atmosphère poétique, voire féerique, et fait à nouveau penser aux deux compositeurs précités (voire à Rachmaninov), surtout dans la délicatesse de l’écriture pour les bois. Le Rondo final est introduit par une danse russe aux rythmes une fois encore bien marqués, qui alterne avec des épisodes tour à tour lyriques et pensifs, alors que le refrain pourrait être tiré d’un ballet de Tchaikovsky. Malgré toutes ces références, Paul Juon est bien plus qu’un pâle imitateur: l’oeuvre séduit sans peine et on se réjouirait de pouvoir l’entendre un jour au concert.
La soliste Maria Solozobova -violoniste russe établie en Suisse- fait preuve dans ces deux oeuvres d’une technique assurée dans des interprétations efficaces et d’une belle franchise, même si l’on se prend souvent à souhaiter un peu plus de poésie et de chaleur. Elle bénéficie d’un très bon accompagnement de l’excellent Collegium Musicum de Bâle, au son plein et chaleureux (on a du mal à croire qu’il ne comporte que 40 musiciens) sous la baguette attentive du chef Kevin Griffiths.
Patrice Lieberman

Son 10 - Livret 7 - Répertoire 6 (Huber)/10 (Juon) - Interprétation 8

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