Violon en torsades : redécouverte du funambule premier opus de Giuseppe Agus

par

Giuseppe Agus (1722-1798) : Sonate a violino solo e basso. The Allemands danced in the Hay-Market. Gian Andrea Guerra, violon. Nicola Brovelli, violoncelle. Mauro Pinciaroli, archiluth. Luigi Accardo, clavecin. Livret en anglais, français, italien. Décembre 2021. TT 68’14. Arcana A531

On doit au fameux dictionnaire biographique de notre musicologue Fétis d’avoir maintenu la mémoire de Giuseppe Agus, mais aussi d’avoir entretenu la confusion sur sa carrière, parfois mêlée à celle de son fils, auquel il donna certes le prénom (Joseph) qu’il avait lui-même reçu au baptême avant de l’italianiser, sans doute pour rappeler ses origines –sardes en l’occurrence. Né à Cagliari, formé à Naples, le jeune Giuseppe échoua à se faire engager dans l’orchestre de son père Vincenzo, et âgé de vingt ans gagna Londres, alors capitale musicale européenne. Il y demeura une trentaine d’années, connut la transition entre l’ère baroque dominée par Haendel et l’ère préclassique représentée par Johann Christian Bach arrivé de Milan en 1762. Pressentant la faillite de ses activités commerciales, il s’embarqua en 1775 pour la France qui vingt ans après l’accueillera au Conservatoire de Paris, où il enseignera jusqu’à sa mort.

Sur le sol anglais, il se fit connaître comme interprète, marchand, et compositeur, rencontrant un indéniable succès si l’on en croit la publication de deux opus pour violon pendant la même décennie 1750, puis une série de Trios et deux recueils de danse dont les Allemands de 1767, pages de divertissement pour le King Theatre. Le présent disque braque les projecteurs sur les prémices, ces Six Solos for a violin with a thorough bass for the harpsichord, dédiés à l’ambassadeur de Bavière. Épousant le moule corellien acclimaté à la sensibilité de l’époque, elles se structurent en trois parties (sauf la cinquième en fa majeur) : une introduction lente (Largo, Larghetto, Andantino, Grave…) suivie d’un Allegro, et conclue par un menuet pour trois sonates. À noter que l’Adagio liminaire de celle en ut majeur intègre une Hornpipe de même tonalité, publiée avec les Allemandes de 1767.

D’emblée, le jeu gréseux et funambule de Gian Andrea Guerra étonne par son articulation intrépide, tourneboulant les phrasés par un art consommé, frisant les fioritures avec une glabre virtuosité que souligne l’absence de vibrato (ou alors parcimonieusement consenti, pour furtif effet de manche). Écouter l’irrésistible Allegro assai de la sonate en la majeur pour se faire idée de ces cabrioles tendues à rompre, quand l’instant ne tient qu’à un fil, ou l’Andante suivant pour se griser d’une volière de trilles et d’une affolante dextérité de main gauche. L’imprévisible archet suscite myriade de postures, aussi précisément dessinées (articulation, dégradés) que fugaces. Épaulée par un réactif continuo, l’interprétation trouve un équilibre spontané entre nuance et contraste (Allegro maestoso de la Sonata IV). Le facétieux et virevoltant final de la sonate en si bémol majeur résume en tout cas combien le brillant esprit de ces pages se voue à la danse, que le Quartetto Vanvitelli chorégraphie avec agilité et caractère. Une remarquable revalorisation de ce corpus, où ne guette aucune seconde d’ennui tant la prestation en cisèle l’incessant guillochis et en avive le chapelet de surprises, striées de subtil plaisir.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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