L’irrésistible Périchole d’Offenbach à l’Opéra-Comique

par

Jacques Offenbach (1819-1880) : La Périchole, opéra bouffe en trois actes. Stéphanie d’Oustrac (La Périchole), Philippe Talbot (PIquillo), Tassis Christoyannis (Don Andrès de Ribeira), Eric Huchet (Don Miguel de Panatellas), Lionel Peintre (Don Pedro de Hinoyosa) ; Chœur Les Éléments ; Orchestre de chambre de Paris, direction Julien Leroy. 2022. Notice et synopsis en anglais et en français. Sous-titres en français, en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. 139.00. Un DVD Naxos 2.110756. Aussi disponible en Blu Ray. 

Créés le 6 octobre 1868 au Théâtre des Variétés par Hortense Schneider dans le rôle principal, les deux actes de La Périchole (prononcez le « ch » comme un « k ») n’ont connu qu’un succès relatif, qui s’est arrêté à la 76e représentation. La version remaniée en trois actes, toujours avec Hortense Schneider, sera proposée près de six ans plus tard, le 25 avril 1874, sur la même scène, après que bien des événements auront bousculé la France, dont la guerre de 1870 et la chute de Napoléon III ; la postérité de l’œuvre sera assurée. Pour le texte de cet opéra bouffe, les remarquables librettistes qu’ont été Ludovic Halévy et Henri Meilhac se sont inspirés librement d’une comédie en un acte de Prosper Mérimée, Le Carrosse du Saint-Sacrement, ajoutée à son Théâtre de Clara Gazul en 1830 et créée en 1850 à la Comédie-Française. Mais à part le lieu exotique, les patronymes de certains protagonistes et le choix par le souverain du Pérou de prendre une comédienne pour maîtresse, il n’est pas question ici de carrosse ni d’arrière-plan de dévotion. 

Mais qui se cache derrière ce nom original de la Périchole ? Il y a une base historique, celle de la jolie créole Michaela Villegas (1748-1819), qui séduisit, à l’âge de dix-neuf ans, le Vice-Roi qui officialisa sa liaison, ce qui provoqua un scandale car la jeune femme ne quitta pas la scène pour autant. Il semble qu’au cours d’une dispute momentanée, le Vice-Roi la qualifia de perra colla (« chienne de métis »), ce qui donna en français le surnom dont on l’affubla. Rappelons brièvement l’intrigue de l’opéra bouffe : à Lima, deux chanteurs de rue, La Périchole et Piquillo, qui sont fiancés, doivent mendier pour leur survie. Le Vice-Roi, Don Andrès, trouve La Périchole endormie. Frappé par sa beauté, il lui propose de l’emmener à la cour et de lui faire servir un festin. Mais pour sauver les apparences de sa nouvelle condition de favorite, elle doit d’abord être mariée. Ce sera avec Piquillo, après une séance d’agapes arrosées, sans que ce dernier se rende compte de l’identité de son épouse. Après la découverte de la supercherie, et sans tenir compte des aveux d’amour énoncés par lettre par sa promise, Piquillo insulte le Vice-Roi et finit en prison où la jeune femme, qui n’a pas cédé aux avances de Don Andrès, le rejoint bientôt. Malgré le fait que le Vice-Roi ait pris la place du geôlier, les amoureux s’évadent grâce à un vieux prisonnier. Ils sont finalement arrêtés mais, touché par leur idylle, le Vice-Roi leur fait grâce et leur rend la liberté.  

Dans la présente production, filmée remarquablement par François Roussillon les 17 et 19 mai 2022 à l’Opéra-Comique de Paris, tout est savoureux, pétillant et drôle, c’est-à-dire irrésistible. Quel plaisir de découvrir une mise en scène qui respecte la musique et le livret, sans les moderniser Dieu sait comment, de savourer le lieu exotique, ainsi que l’esprit et la lettre de cette loufoquerie où l’on ne cesse de s’amuser ! Le public ne s’y trompe pas : il éclate en applaudissements après chaque acte, un succès qui se transforme en tornade à la fin du spectacle. Celui-ci bénéficie de décors hispanisants devant lesquels l’action se déroule, escaliers à l’appui pour les chœurs à l’Acte I, grand édifice avec couloir surélevé au II, prison avec barreaux pour le premier tableau du III, avant retour aux maisons de l’acte I pour la scène finale. Les lumières de Christian Pinaud sont idéales, avec de belles couleurs, les costumes de Vanessa Sannino sont chatoyants et bariolés à souhait, d’un effet souvent comique. La presse française a évoqué en mai 2022 à leur sujet l’univers d’Alice au pays des merveilles ; on ne peut que lui donner raison. Les gags sont nombreux et visuellement efficaces : des croissants dans la coiffure de Don Pedro, d’étonnants chevauchements hommes/femmes, un anachronique petit clin d’œil à Lara Fabian et à son Je t’aime, des ballons sauteurs, des lamas derrière les barreaux de la prison, animés par Carole Allemand, qui dansent avant de s’embrasser comme les amoureux, la barbe de douze ans du vieux prisonnier, etc… 

A la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris, le jeune chef français Julien Leroy emmène la dynamique partition avec un sens généreux des nuances, avec clarté et des tempos bien ciblés qui ne cessent de se confirmer au fil de l’action. Le Chœur Les Éléments est d’une présence et d’un investissement qui forcent l’admiration. On y joindra la troupe de danseurs. Mais que dire alors d’un plateau vocal qui frôle la perfection et fait de cette Périchole, mise en scène par Valérie Lesort, scénographiée par Audrey Vuong et chorégraphiée par Yohann Têté, un divertissement de haut vol ? A commencer par Stéphanie d’Oustrac, Périchole au physique séduisant, au timbre bien équilibré dans ses couleurs sombres, projection des accents assurée et vivacité dans l’expression, qu’elle sait rendre à la fois mutine, gracieuse, amusante, séductrice et chaleureuse. Il y a beaucoup de subtilité dans son interprétation, comme le démontrent les seuls épisodes de l’émouvante lettre de l’Acte I, rendue avec noblesse (un hommage à l’Abbé Prévost), ou l’air pétillant Que les hommes sont bêtes au II, ou le couplet de l’aveu de l’Acte III, rendu avec une féminité folâtre. Ce moment, auquel participe béatement Piquillo, son fiancé devenu son mari par ruse (ou par inadvertance ?) est délicieux, car il confirme la fine complicité qui existe de bout en bout entre la mezzo- soprano et le ténor Philippe Talbot, dont le timbre est clair et le jeu excellent (son air On me proposait d’être infâme au III), entre naïveté et adoration de la Périchole. 

Faire l’éloge de cette irrésistible production, c’est aussi saluer hautement la prestation de Tassis Christoyannis en Don Andrès, avec cette présence qu’on lui connaît et une voix aux inflexions fortes et chaudes, ainsi que celle d’Eric Huchet, timbre aussi clair que celui de Philippe Talbot, en gouverneur Don Miguel de Panatellas (rôle qu’il tenait déjà dans l’enregistrement de Minkowski en 2018 pour Bru Zane). On leur adjoindra le baryton Lionel Peintre, qui incarne l’autre notable de Lima et deux rôles secondaires avec un aplomb teinté d’une ironie très réussie. On ne peut oublier que La Périchole est aussi un vrai moment de théâtre, avec de nombreux dialogues parlés. Ici, on salue la qualité du jeu de ces chanteurs/comédiens à la diction limpide et à l’engagement sans faille. Du très beau travail scénique, auquel vient s’ajouter l’abattage des trois cousines (Julie Goussot, Marie Lenormand, Lucie Peyramaure), époustouflantes dans leur chanson du I ou leur valse du III, et, en vieux prisonnier qui surgit un peu comme celui du Comte de Monte-Cristo de Dumas, le ténor Thomas Morris dans un rôle parlé.

Des spectacles comme celui-ci, on voudrait en voir à la pelle ! Il faudrait pouvoir tout décrire longuement, car tout est conçu dans la joie la plus complète. Quitte à faire passer au second plan la satire du pouvoir qui se trouve aussi dans le contenu, mais elle n’échappe à personne. On sort de cette Périchole conquis et heureux, avec la sensation voluptueuse d’avoir participé à un moment jouissif. Tout baigne dans une atmosphère débridée, le cancan n’étant pas oublié. De quoi sortir de ces deux bonnes heures avec des envies de galoper comme lors de l’arrestation de Piquillo, de fredonner le rondo des maris récalcitrants ou l’hilarant Il grandira, car il est espagnol ! 

Note globale : 10

Jean Lacroix 

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