Au-delà des apparences, et si émouvant : « Picture A Day Like This » de George Benjamin et Martin Crimp

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Au Festival d’Aix-en-Provence, dans l’écrin bienvenu du Théâtre du Jeu de Paume, les spectateurs ont été invités à passer au-delà des apparences d’une réalité si souvent trompeuse. Un voyage plus qu’émouvant grâce à la conjugaison réussie d’un texte et d’une partition, de leur mise en scène et de leur interprétation.

L’auteur et le compositeur : Martin Crimp et George Benjamin. C’est la quatrième fois qu’ils collaborent dans l’écriture d’un opéra. Une collaboration qui nous a valu il y a quelques années le magnifique Written On Skin. Ces deux-là, qui sont amis, ont donc l’habitude de travailler ensemble. Quelle belle complicité. Ce qu’ils nous proposent, ce n’est pas la juxtaposition, mais bien la conjugaison d’un texte et d’une partition. Superbe tissage de mots et de notes. La musique éclaire les mots, les mots s’accomplissent dans la musique. 

Une musique qui jamais n’est pléonasme ni simple illustration-amplification de ce qui se dit. Non, elle est, dans ses nuances subtiles -quelle orchestration- langage significatif. L’entendre, l’écouter, c’est en savoir davantage, c’est vivre et comprendre mieux ce qui est en jeu. Quelle délicatesse, quelle retenue, quels élans, quels éclats aussi. Qui d’autre que George Benjamin pouvait la mieux exprimer en dirigeant lui-même un Mahler Chamber Orchestra à l’unisson de ses intentions.

Mais de quoi s’agit-il ? Une Femme (« Woman » – une appellation générique en quelque sorte comme celle des autres personnages ; le propos ne se fige pas dans une seule incarnation, il s’universalise) est pétrifiée de douleur : son tout jeune fils vient de mourir. Elle se désespère : « La terre froide – les tiges mortes des fleurs reprennent vie – pourquoi pas – pourquoi pas mon fils ? ». Une femme lui dit alors : « Trouve une personne heureuse en ce monde et prends un bouton de la manche de son vêtement… et ton enfant vivra ». Elle se met en route et rencontre des gens heureux. Mais très vite, elle se rend compte qu’il ne s’agit là que d’apparences. Ainsi ce « Couple d’amoureux », ainsi cet « Artisan », ainsi cette « Compositrice » à succès, ainsi ce « Collectionneur ». Finalement, elle arrive au merveilleux jardin de Zabelle. Une petite fille, un petit garçon y jouent. Bonheur ? Plénitude ? Apparence une fois encore. Quand elle revient chez elle et retrouve son enfant mort, dans sa main, un bouton brille.

Tel est le récit mots-musique conjugués, tel est le conte. A nous de le ressentir (la musique et la poésie des mots sont sensations), à nous de tenter de le comprendre (les mots forment un message), à nous de nous l’approprier et de le vivre.

Ces mots et cette musique, Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma les ont multipliés dans leur mise en scène et dans leur scénographie. Ils ont l’art d’installer les personnages, de nous les imposer (aucune violence évidemment dans ce mot), de susciter notre curiosité et notre empathie pour eux. Des images : la Femme pétrifiée de douleur, seule face à nous au milieu du plateau, l’Artisan avec ses manches aux milliers de boutons, la Compositrice à succès sur un tapis roulant qui donne l’impression d’une marche sans fin. Et surtout, cet incroyable surgissement d’une sorte de paradis sous-marin, le lieu de Zabelle. C’est beau, c’est juste, c’est émouvant.

Quant aux interprètes, ils ont fait leur les partition-mots-personnages. Quelle force et quelle justesse dans leurs présences. Les Amoureux Beate Mordal et Cameron Shahbazi. Zabelle-Anna Prohaska, le si puissant et pathétique John Brancy en Artisan et Collectionneur. Et surtout, Marianne Crebassa, si exacte, si convaincante, si bouleversante en Woman.

Festival d’Aix-en-Provence, le 5 juillet 2023 

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : Jean-Louis Fernandez

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