Volume 33 de l’intégrale des cantates par la J.S. Bach-Stiftung : remarquable étape

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Lobe den Herrn, meine Seele BWV 69a ; Herr, deine Augen sehen nach dem Glauben BWV 102. Motet Fürchte dich nicht BWV 228. Johann Christoph Bach (1642-1703) : motet Fürchte dich nicht. Johann Heinrich Schmelzer (c1623-1680) : Lamento sopra la morte Fernandi III. Ulrike Hofbauer, Mirjam Berli soprano ; Margot Oitzinger, alto ; Alex Potter, altus ; Raphael Höhn, ténor ; Matthias Helm, Dominik Wörner, basse. Rudolf Lutz, chœurs et orchestre de la J.S. Bach Stiftung. Août 2017 – novembre 2019. Livret en allemand et anglais (paroles des cantates en allemand non traduit). TT 61’45. J.S. Bach-Stiftung n°33.

Exigunt monumentum. Et nous sommes en retard, puisque vient juste de paraître le trente-cinquième volume de cette intégrale des cantates, initiée en 2011 et dont l’achèvement est prévu pour 2027. L’échéance sera-t-elle respectée ? Si notre compte est exact, cent-trois opus ont été enregistrés (incluant quelques cantates profanes et motets) : une moitié du corpus complet en une décennie, alors qu’il ne reste que six années. Pas de « cantate star » dans cette trente-troisième fournée, quoique : la BWV 102 s’honore d’une quinzaine d’enregistrements commercialisés. Elle appartint aux six (BWV 101-106) qu’Adolph Bernhard Marx, un proche de Mendelssohn, publia en 1830 : une édition qui contribua à sortir cet univers de l’oubli dans lequel il était plongé depuis la mort du compositeur. Honorable mais maigre tribut qui dut suffire à l’heure du romantisme. Difficile d’imaginer aujourd’hui qu’au milieu du XIXe siècle, le public n’avait accès qu’à une dizaine de cantates du Cantor de Leipzig !

Deux formats bien différents pour les deux que nous découvre cet album, datées de 1723 et 1726, et prévues pour les dixième et douzième dimanches après Trinité, selon le calendrier liturgique. La sévère Herr, deine Augen sehen nach dem Glauben, campée dans le contexte de la Destruction de Jérusalem, emprunte aux Ancien (Livre de Jérémie, 5 :3) et Nouveau Testaments (Épître aux Romains), ainsi qu’à un cantique de Johann Heermann sur la mélodie du Vater unser. Traverso, deux hautbois, cordes et continuo : une dizaine de pupitres pour cette interprétation qui limite le chœur à un quatuor de solistes, sans nuire à l’intensité de l’édifice fugué qui introduit l’œuvre. On notera aussi que l’air Erschreke doch s’accompagne ici d’une flûte (et non du violino piccolo tel que prévu dans une mouture postérieure), que Tomoko Mukoyama laisse danser sous une partie de ténor élégamment ciselée par un continuo incisif.

Effectif bien plus étoffé pour glorifier le Seigneur dans la Lobe den Herrn, meine Seele : une douzaine d’archets, trois hautboïstes, trois trompettes, timbales… Et un chœur d’une vingtaine de voix. Rarement abordé hors intégrale, ce BWV 69a rencontre ici une exécution convaincante, tant pour les volets démonstratifs que les récitatifs et airs solistes. Dans les volutes de flûte à bec et d’oboe da caccia, Raphael Höhn module un Meine Seele, auf, erzähle touchant de simplicité. Dominik Wörner déclame un franc Mein Erlöser und erhalter, dont l’oboe d’amore relaye la confiance.

Le CD resterait bien court sans le complément de programme : le BWV 228 pour double-chœur à huit voix. En l’absence de partition originale, Rudolf Lutz l’introduit par un solo de clavecin et le dirige avec soutien instrumental. Sur le même texte Fürchte dich nicht, on nous offre un motet de l’oncle de Johann Sebastian, préludé à l’orgue par Nicola Cumer. Et un Lamento en si mineur de Schmelzer, confié aux cordes. Tout cela fort bien exécuté : techniquement maîtrisé, et porté par cet élan de sincérité qui émane de cette entreprise sous l’égide de la Fondation de Saint-Gall.

Rappelons que ces sessions live, également disponibles en DVD, s’inscrivent dans une démarche vivante selon ce schéma : un atelier qui présente chaque œuvre dans son écrin musical et religieux, concert, puis une lecture délivrée par des membres de la société civile interrogeant le sens des paroles chantées. En écho à cette intelligence partagée, le livret reproduit une discussion en laquelle Rudolf Lutz livre ses réflexions sur la tonalité et sa signification pour Bach, exemples à l’appui. Le propos se veut didactique (« plus on trouve de dièses ou bémols à la clé, plus l’affect visé se renforce ») et surtout imagé : « une descente prématurée à la sous-dominante peut transformer une alléchante cave à vin en remise à charbon ou en lugubre cachot ». En tout cas, ce volume 33 de mi-parcours est une remarquable cuvée.

Son : 9 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

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