A Genève, un clinquant Orchestre de Birmingham

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Au cours de chaque saison, le Service Culturel Migros patronne une série de concerts symphoniques qui sont présentés dans plusieurs villes de Suisse mais qui, parfois aussi, ne sont réservés qu’à une seule cité. Pour ouvrir les feux en cette fin octobre, il invite le City of Birmingham Symphony Orchestra qui se produit à Zürich, Berne, Genève et Lucerne sous la direction du chef nippon Kazuki Yamada devenu son directeur musical attitré depuis le printemps dernier.

Le programme proposé au Victoria Hall de Genève le 25 octobre commence par la Première Symphonie en ré majeur op.25 dite ‘Classique’ de Sergey Prokofiev. A la tête d’une énorme phalange incluant notamment 24 violons, 8 alti, 8 violoncelles et 4 contrebasses, Kazuki Yamada recourt à un tempo modéré pour l’Allegro initial qu’il veut délibérément rutilant en gommant la connotation chambriste se rattachant à l’esprit des symphonies de Haydn. Il joue des contrastes d’éclairage pour faire ressortir les timbres et chanter les premiers violons dans le Larghetto. Mais la Gavotte devient lourdingue par la débauche de coloris trop gras que le Presto tentera d’affiner avec de cinglants traits en fusée qui annihilent une fois de plus la référence ‘classique’ attachée à cette œuvre brève. 

Aurait dû intervenir ensuite le pianiste turc Fazil Say qui a ouvertement pris position contre l’attaque du Hamas tout en critiquant la politique du premier ministre israélien Netanyahou, ce que la direction de Migros a jugé indéfendable. Il est donc remplacé en dernière minute par Louis Schwizgebel-Wang, pianiste genevois de trente-cinq ans qui a été deuxième prix du Concours de Genève en 2005 puis premier prix des Young Artists Concerts à New York en 2007, ce qui lui a valu de jouer à Carnegie Hall en novembre de la même année. 

Respectant l’œuvre inscrite au programme, le Deuxième Concerto en sol mineur op.22 de Camille Saint-Saëns, il s’y attaque en prêtant une sonorité de grand orgue au préambule initial dont il soutire une fluidité de la ligne de chant qui, par instants, se voile de nostalgique retenue. Le jeu perlé lui concède d’impressionnantes cascades d’octaves alternées aux deux mains qui se lient aux arpèges et traits chromatiques nourrissant la nouvelle cadenza avant le da capo en pianissimo du début. A fleur de clavier est dessiné l’Allegro scherzando qui semble plaisanter avec le rythme de bourrée claudicante pimentée de volutes arachnéennes, tandis que le Presto conclusif brille par la précision des traits à l’arraché et des enchaînements d’octaves requérant une maestria technique dont le jeune artiste donne magistralement la preuve. En bref, un Deuxième de Saint-Saëns à faire vibrer une salle qui n’en a pas entendu de pareil depuis belle lurette. Et c’est avec un choral de Bach affleurant sous une volubile ornementation que Louis Schwizgebel-Wang remercie en souriant les spectateurs en délire.

En seconde partie, Kazuki Yamada présente la dernière œuvre pour orchestre de Serghey Rachmaninov, les Danses symphoniques op.45 écrites en 1940 pour l’Orchestre de Philadelphie qui en assura la création sous la direction d’Eugene Ormandy le 3 janvier 1941. La première, Non allegro, est prise ici a contrario à tempo rapide amenant à un tutti en fanfare qui rend presque impossible la perception du motif des cuivres que suit un développement broussailleux. Néanmoins les bois rassérènent le discours pour faire chanter un saxophone mélancolique auquel répondent les cordes suaves. La réexposition du début joue sur les oppositions de blocs sonores ponctués par de vrombissants tutti. La seconde, Andante con moto, fait meilleure figure avec ses accents sur le pizzicato de cordes isolant le cor anglais pour une valse chaloupée qui utilise sciemment le rubato. Par une cinglante déflagration d’accords massifs, la troisième, Lento assai – Allegro vivace, tient de la course à l’abîme amenant le thème du Dies irae s’opposant à un motif liturgique orthodoxe. En sollicitant l’indéniable qualité de chacun des pupitres, le chef exacerbe les lignes afin de parvenir à une péroraison en tintamarre digne d’un mélo de la MGM que le public applaudit avec transport. Au comble du ravissement, il concède en bis une Lezghinka du ballet Gayaneh d’Aram Khatchaturian à faire trembler les murs. Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien), comme disait le bon vieux Shakespeare…

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 25 octobre 2023

Crédits photographiques : JC Vinaj -OPMC

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