À Dijon, Musique en ville propose une randonnée citadine de musique baroque
L’ensemble Les Traversées baroques a initié « Musique en ville » en 2011, un mini-festival en une journée dans des lieux de patrimoine dans la partie historique de Dijon. Pour cette 12e édition, nous avons assisté à trois concerts de l’après-midi.
Le chœur polonais Angelus Cantat
À 14 heures à l’église Saint-Pierre, le chœur polonais Angelus Cantat et son chef Tadeusz Eckert, venus spécialement d’Opole, proposent un programme allant de traditionnels de leur pays jusqu’à des arrangements de pop-variété. Pour ce concert sans entracte, une première partie est essentiellement consacrée à des œuvres polonaises du XIXe et du XXe siècle, commençant par une procession sur Dum Pater familias (Codex Calixinus). Puis, des chants en latin et en polonais, souvent liturgiques, se succèdent dans une ambiance solennelle. Peut-être à cause du jeune âge des chanteurs mais aussi très probablement de leur langue d’origine (le polonais), dans leur interprétation, la résonance « rentrée » des voyelles revenait souvent. En effet, si leurs voyelles étaient plus ouvertes, des pièces comme Jubilate Deo de Józef Świder ou Exultate Deo de Domenico Scarlatti auraient sonné avec beaucoup plus de magnificence. La deuxième partie est plus détendue. Quelques mises en mouvement avec des accessoires égayent l’atmosphère : lunettes de soleil, foulards colorés, coiffes de fleurs… Des cris, des imitations d’animaux et d’oiseaux ainsi que des sons de percussions ponctuent certains chants, suscitant une hilarité dans l’auditoire. Rejoint pour quelques pièces par le chœur de la maîtrise de Dijon, le concert remporte un franc succès et se termine avec des échanges de cadeaux amicaux.
Carte blanche à l’organiste Frédéric Mayeur
Changement de lieu et d’ambiance à 16 heures, à l’église Notre-Dame. Carte blanche à l’organiste Frédéric Mayeur, titulaire du grand orgue de la Cathédrale Saint-Bénigne de Dijon et de la Basilique du Sacré-Cœur de Nancy. Il choisit un programme qui met en lumière la sonorité majestueuse de l’orgue que l’imaginaire populaire met souvent en avant, mais souligne également les caractéristiques de l’instrument. Ainsi, dans Prélude et fugue en ré majeur BWV 532 de Bach, on entre d’emblée dans la solennité du contrepoint inséparable à l’écriture du clavier. Ensuite, Frédéric Mayeur propose quatre œuvres de compositeurs et organistes de l’école française, à cheval entre les XIXe et XXe siècles (Franck, Pierne, Widor et Bonnet). Il nous régale avec la brillance et l’amplitude du son qui résonne pleinement, tout en montrant une douceur insoupçonnée (« Andante sostenuto » de la Symphonie gothique de Widor). À la fin, il revient à Bach ; pour le Concerto en ré mineur d’après Vivaldi BWV 596, l’organiste précise que cette œuvre est totalement adaptée à l’orgue de l’église Notre-Dame comme si elle avait été écrite pour lui. En effet, la virtuosité souriante et la sonorité élégante se fondent à merveille sous la nef de l’église Notre-Dame.
« Ortus de Polonia »
Pour le dernier concert de Musique en ville à l’église Saint-Michel, à 17 heures, Les Traversées Baroques et le chœur Angelus Cantat se rejoignent pour interpréter ensemble le programme « Ortus de Polonia ». Il s’agit d’extraits de Offertoria totius anni et de Communione totius anni du compositeur polonais Mikołaj Zielenski (ca. 1550-ca. 1615), édités à Venise en 1611. Si on ne sait presque rien du compositeur, cette musique, caractérisée par la polychoralité et un certain chromatisme générant une dissonance affirmée, mêle les voix à des instruments à vent et à l’orgue. Cela donne à cette musique une théâtralité aiguë incontestable, tout à fait dans le style pratiqué dans la Sérénissime. Véritables pièces liturgiques (dans ce concert, la suite commence par Salve festa Dies et se termine par Magnificat, en passant entre autres par Gloria et divitiae, Adoramus te Christe), l’intention était de faire défiler les quinze pièces, dont deux de Giovanni Gabrielli et une de Palestrina/Bassano pour illustrer leur proximité stylistique. Cependant, le public qui apprécie visiblement la splendeur de ces compositions, applaudit à la fin de chaque pièce… Mais cela n’empêche pas un certain rythme donné par l’interprétation qui transmet la richesse et la somptuosité du cérémonial, notamment par les vents (sacqueboutes, cornets à bouquin, basson). Les chanteurs solistes aux voix pures, dans une projection « céleste », idéale pour ce type de répertoire, renforcent ce chiaroscuro musical.
15 octobre 2023 à Dijon
Victoria Okada
Crédits photographiques : © Edouard Barra