A Genève, un Elias grandiose  

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A Genève, l’Ensemble Gli Angeli jouit d’une grande réputation depuis 2005, année de sa fondation par le dynamique Stephan MacLeod, à la fois basse et chef d’orchestre. Formation à géométrie variable jouant sur instruments (ou copies d’instruments) d’époque, cet ensemble réunit des musiciens spécialisés dans le domaine baroque mais ouverts à d’autres répertoires. Chaque année, il donne une quinzaine de concerts consacrés à l’intégrale des Cantates de Bach, d’autres à des horizons plus élargis ainsi que des soirées de musique de chambre intitulées La Chambre des Anges. Et depuis 2021, il organise un Festival Haydn-Mozart.

Pour sa troisième édition, cette série de manifestations a comporté cinq concerts et s’est achevée en apothéose le 15 juin avec Elias, le grand oratorio que Felix Mendelssohn projeta dès 1836 en demandant au théologien Julius Schubring d’élaborer en allemand un livret d’après des passages de l’Ancien Testament. Mais en 1845, le Festival de Musique de Birmingham lui passa commande d’une grande œuvre chorale pour l’année suivante. Le compositeur reprit donc son Elias dont fut effectuée une traduction anglaise, en réalisa la partition entre septembre 1845 et juin 1846 et dirigea lui-même la création du 26 août 1846 qui réunissait près de 400 exécutants à Birmingham. Le succès colossal remporté par la première se répéta à l’Exeter Hall de Londres en présence de la Reine Victoria, du Prince Albert et de Berlioz qui en loua la somptuosité harmonique indescriptible.

Effectivement, c’est ce qui frappe l’auditeur d’aujourd’hui qui n’a que rarement le privilège d’entendre une telle œuvre en concert. Le rôle du chœur y est prépondérant, tant pour représenter le peuple d’Israël, les prêtres de Baal ou la cohorte des anges. Et l’orchestre est dynamisé par une indomptable puissance dramatique.

A cet égard, il faut admirer le travail titanesque accompli par Stephan MacLeod qui a préparé à la fois le chœur et l’orchestre renforcé par quelques étudiants de la Haute Ecole de Musique de Genève participant à l’Académie de Gli Angeli. Comme lui-même chante le rôle du prophète Elie, il cède la baguette à Philippe Herreweghe dont la réputation n’est plus à faire, ce dont attestent les nombreux enregistrements réalisés avec le Collegium Vocale Gent, l’Ensemble Vocal Européen et l’Orchestre des Champs-Elysées. Et pourtant c’est à ce niveau que le bât blesse, tant sa direction est aussi apathique que brouillonne. Avec un Gergiev et deux ou trois baroqueux, il partage cette funeste pratique de n’avoir jamais de premier temps pour l’attaque d’une phrase. En souffrent particulièrement des numéros d’ensemble comme le N.10 « So war der Herr Zebaoth lebe » ou le N.12 avec la laborieuse fugue concluant les appels des prêtres de Baal. Mais Eva Saladin, le premier violon, fait montre d’une sûreté rythmique ahurissante en entraînant à sa suite les quelques quarante-cinq instrumentistes et le chœur, magnifique d’ampleur alors qu’il ne comporte que dix-huit chanteurs à la diction incisive et à la précision notoire. Saisissantes s’avèrent ainsi des pages telles que l’ensemble « Hilf deinen Volk » achevant la première partie, la scène de tempête (N.34 « Der Herr ging vorüber ») ou celle du chariot de feu (N.38 « Und der Prophet Elias brach hervor »).

Du quatuor soliste se détache en premier lieu Stephan MacLeod, impressionnante incarnation du prophète Elie qui bénéficie du métal du timbre pour passer des éclats péremptoires au cantabile en demi-teintes de l’être choisi par Dieu mais envahi par le doute. Remplaçant au pied levé Lucile Richardot confrontée à un deuil, Marie-Claude Chappuis joue de la palette de son mezzosoprano pour suggérer la bonté compatissante d’un ange, avant de s’armer de vipérines inflexions pour camper la Reine Jézabel incitant le peuple à la révolte. Sandrine Piau est tout aussi saisissante en Veuve désemparée se méfiant d’Elie avant de reconnaître sa stature prophétique. Et son aria « Höre Israël, höre des Herrn Stimme » est empreinte d’un tragique lacérant grâce à la portée expressive de son phrasé. Le ténor Werner Güra fait valoir la clarté de ses aigus dans le declamato narratif et dans sa ligne de chant soignée lui permettant de négocier en pianissimo son « Siehe, er schläft unter dem Wachholder ». D’une loge au-dessus de la scène, Aleksandra Lewandowska joue l’enfant du guet avec ce soprano fruité qui dominera ensuite le Trio des Anges incluant Sophie Gallagher et Anouk Molendijk. Lorsque finit par résonner le fulgurant chœur conclusif « Alsdann wird euer Licht hervorbrechen », le public, impressionné par la grandeur de l’ouvrage, acclame longuement l’ensemble des artisans de cette indéniable réussite.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 15 juin 2023

Crédits photographiques : Stephan MacLeod

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