A Genève, un Orchestre de Chambre de Lausanne chatoyant 

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Alors que l’Orchestre de la Suisse Romande entreprend sa tournée en Allemagne, l’Orchestre de Chambre de Lausanne est une fois de plus son invité pour la soirée du 15 février au Victoria Hall de Genève. Sous la direction de Renaud Capuçon qui porte la double casquette de chef titulaire et de soliste, son programme est des plus variés puisqu’il commence par la Première Symphonie en ré majeur op.25 de Sergei Prokofiev dite Classique. Et c’est bien le qualificatif qui convient à l’écoute de l’Allegro con brio initial au phrasé pimpant, allégeant le discours des premiers violons afin de créer de subtils contrastes puis sollicitant le bourdonnement des basses pour un Larghetto finement chaloupé s’achevant en points de suspension. La Gavotte affiche une fierté d’accent que tempérera le contre-sujet diaphane, tandis que le Final tient du Presto endiablé, négocié avec panache. 

Renaud Capuçon reparaît ensuite avec son Guarneri del Gesù Panette de 1737 ayant appartenu à Isaac Stern, instrument qui donne à sa sonorité un grain corsé et une ampleur qu’on lui a rarement connu jusqu’à maintenant. En bénéficie une page laissée de côté par la plupart des virtuoses, Rêverie et Caprice op.8, qu’Hector Berlioz aurait écrite vers 1840 après la chute de son Benvenuto Cellini à l’Opéra en utilisant l’air de Teresa, « Ah que l’amour une fois dans le cœur », écarté de la version finale. Renaud Capuçon en développe le cantabile avec générosité, tout en tirant l’expressivité des doubles cordes et en alanguissant les fins de phrase. Puis il s’attaque à la redoutable Tzigane de Ravel dont il aborde l’épineuse cadenza initiale dans un coloris sombre émoussant les traits en arêtes par des sons harmoniques presque irréels. Puis l’Allegro prend un caractère décidé qui tournera à une sauvagerie qu’amplifiera le canevas orchestral, avant de conclure par une stretta échevelée à couper le souffle du spectateur qui donne ensuite libre cours à son enthousiasme.

En seconde partie, est proposée d’abord la Suite op.80 que Gabriel Fauré tira de sa musique de scène pour le Pelléas et Mélisande de Maeterlinck en 1900. Le Prélude confine à une houle sonore dominée par un ample legato qui fait ressortir les interventions des bois tout en prêtant au violoncelle solo des accents à fendre l’âme. En un allegretto soutenu, la Fileuse déroule ses écheveaux sous le cantabile mélancolique du hautbois, auquel répondra la Sicilienne à l’expansion généreuse déversée par la flûte, la harpe et le bruissement des cordes. Et la Mort de Mélisande n’est que teintes blafardes que lacéreront les premiers violons en tutti trop anguleux.

Et le concert s’achève par Ma Mère l’Oye, suite de cinq pièces pour piano à quatre mains que Ravel lui-même orchestrera en 1911. En un délicat pastel, la Pavane de la Belle au Bois dormant s’étire sous un legato en arc de cercle qui se prolonge sur les mesures à rythme changeant du Petit Poucet, s’amplifiant en un vaste crescendo que pimenteront les piaillements criards de la volière imités par le violon et la flûte. Laideronnette impératrice des pagodes tient ici du chromo orientalisant, osant le chatoiement des coloris capiteux sur une percussion mordante, alors que les Entretiens de la Belle et de la Bête sont enveloppés par une valse plus que lente que conduit la clarinette se figeant d’effroi devant le sinistre contrebasson aux accents suppliants. En demi-teintes vaporeuses se profile le Jardin féérique que dépeignent les cordes qui s’amplifient en un gigantesque crescendo émoustillant tous les pupitres pour parvenir à une éclatante apothéose qu’applaudit un public immédiatement conquis. En remerciement est offert un bis fascinant, la magnifique Chanson de nuit op.15 n.1 de Sir Edward Elgar qui est une rareté ! Un fort beau concert !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 15 février 2023

Crédits photographiques : Simon Fowler

 

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