Le duo Kopatchinskaja/Say dans Janáček, Brahms et Bartók : un récital inégal

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Leoš Janáček (1854-1928) : Sonate pour violon et piano. Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour violon et piano n° 3 en ré mineur op. 108. Béla Bartók (1881-1945) : Sonate pour violon et piano n° 1, SZ. 75, BB 84. Patricia Kopatchinskaja, violon ; Fazil Say, piano. 2022.Notice en anglais, en français et en allemand. 72.18. Alpha 885.

Il est utile de lire, avant découverte de l’interprétation, l’entretien intitulé « deux âmes sœurs » qui sert de notice au présent album. Patricia Kopatchinskaja et Fazil Say y rappellent qu’ils jouent en duo depuis 2004, ont donné ensemble des centaines de concerts et effectué des enregistrements. La violoniste d’origine moldave (°1977) souligne le fait que Fazil Say est comme un volcan, quelque chose d’une puissance et d’une énergie incroyables, avec une créativité qui se renouvelle sans cesse. De son côté, le pianiste turc (°1970) met en avant la spontanéité de sa partenaire, son incroyable liberté et son art de l’improvisation. La suite du texte est une plongée commune dans le programme choisi pour le présent album, qui a nécessité de multiples répétitions avant que les partenaires soient prêts à le jouer sur scène. La concrétisation pour le disque a eu lieu en août 2022 au Studio Teldex de Berlin. 

Ce duo décapant montre son originalité dès la Sonate de Janáček. Cette œuvre qui date de 1922 est en fait la troisième pour violon et piano du créateur morave, mais la seule qui soit achevée. La virtuose, dont on sent à chaque instant, au fil des quatre mouvements, qu’elle la nourrit d’écorchures, considère cette partition comme une musique concentrée et blessée. Elle ajoute qu’elle n’est pas à l’aise avec la Ballada, le deuxième mouvement, qui a besoin de chaleur et de beauté, alors que tout le reste a un côté violent. Est-ce pour cela que l’audition de cette Sonate qui ne s’appréhende pas au premier abord, offre une sensation de déséquilibre progressif ? La passion indécise et hachurée du Con moto, le lyrisme nourri d’images populaires de la Ballada que les deux partenaires laissent un peu en route, l’Allegretto dont l’inégalité rythmique est accentuée, et l’Adagio final à l’expression abrupte, ne rendent pas vraiment justice aux aspects âprement pessimistes, qu’Isabelle Faust et Ewa Kupiek avaient si bien mis en évidence en 2013 (Harmonia Mundi).  

La Sonate n° 3 de Brahms, achevée pendant l’été de 1888, demande un lyrisme sans ambages, avec son Adagio touchant, aux mélodies à la fois simples, tendres et passionnées. Patricia Kopatchinskaja déclare y voir la marque d’un pinceau impressionniste, et penser plutôt à Debussy. Ce que confirme Fazil Say, approuvant la recherche de couleurs distillées par le violon de sa partenaire. A-t-il voulu de ce fait lui laisser une prépondérance ? Ces couleurs revendiquées semblent parfois être en manque d’effusions, voire délavées, nourries d’une poésie trop absente, y compris dans un troisième mouvement qui perd son côté fantasque. Le piano est proche de l’affectation. Le Presto agitato final rachète quelque peu une interprétation qui laisse un goût d’inachevé au sein d’une riche discographie.  

La Sonate n° 1 de Bartók de 1921 est plus en adéquation avec le violon décapant et l’explosivité des deux partenaires qui se livrent à des séquences rythmiques très contrastées, avec un Adagio imaginatif et douloureux et un Allegro final, dont les sursauts de violence laissent libre cours à leur audacieuse liberté. On retiendra cet album avant tout pour ce Bartók qui séduit par sa folie colorée ; les deux autres compositeurs, Brahms en particulier, dont le lyrisme demande plus d‘épanouissement, nous laissent vraiment sur notre faim. 

Son : 8,5  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 7,5

Jean Lacroix 



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