A Genève, un sublime Grigory Sokolov

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Pour sa prestigieuse saison ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence de concerts Caecilia invite une fois de plus le grand pianiste Grigory Sokolov au Victoria Hall de Genève le jeudi 7 avril.

Devant une salle comble, l’artiste présente un programme Beethoven – Brahms – Schumann en commençant par une page moins connue du maître de Bonn, les Quinze Variations et Fugue en mi bémol majeur op.35 dites Variations Eroica. Le thème figurant dans le ballet Die Geschöpfe des Prometheus puis repris dans le final de la Symphonie Héroïque, Grigory Sokolov l’expose pianissimo à la basse tout en martelant les si bémol aigus qui le concluent, avant de développer l’introduction en étirant chaque ligne avec une extrême précision. En une architecture rigoureuse, il enchaîne les variations en répondant à une main gauche vrombissante par des traits de la droite parsemés d’acciaccature agressives. Et la Fugue conclusive bénéficie d’un jeu articulé qui clarifie l’entrelacs mélodique.

Les Trois Intermezzi op.117 de Johannes Brahms impressionnent par leur sonorité décharnée. Le Premier en mi bémol majeur, à fleur de clavier, n’est que tristesse résignée, alors que le Deuxième en si bémol mineur est enveloppé de volubiles demi-teintes laissant affleurer d’anxieuses interrogations. Le Troisième en ut dièse mineur s’étire en une progression tourmentée qui devient pathétique, mais qui laisse les voix intérieures imposer peu à peu un réconfort apparent.

En seconde partie de programme, Grigory Sokolov s’attaque à l’un des chefs-d’œuvre pianistiques de Robert Schumann, Kreisleriana op.16. Dès les premiers traits, l’on se laisse emporter par une houle ascendante qui bute sur de brusques accents. Une indicible nostalgie nimbe le Sehr innig médian avec son cantabile en octaves rasséréné. Les deux Intermezzi subséquents sont lacérés d’accords à l’arraché, tandis que le Sehr bewegt prendra un caractère inquiétant par ses rafales de triolets. De véhéments contrastes d’éclairage opposent les sections suivantes jusqu’à un Final claudiquant avec les accents à contretemps de la main gauche, imprégnant l’atmosphère d’un parfum étrange jusqu’aux dernières notes interrogatives.

A un public subjugué par la perfection de son jeu, le pianiste concède six bis, dont la Ballade en sol mineur op.118 n.3 de Brahms, la Mazurka op.68 n.2 et le Vingtième Prélude op.28 de Chopin, un Choral de Bach et deux des Préludes op.23 de Rachmaninov. Une soirée inoubliable ! 

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 7 avril 2022

Crédits photographiques :  Vico Chamla

 

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