A l’OSR, Charles Dutoit le magnifique ! 

par

© Bruno Fridrych

Comme n’importe quelle société de concerts, l’Orchestre de la Suisse Romande doit souvent effectuer des changements de programme. Ainsi pour le concert du 18 mai à Genève, du 19 mai à Lausanne, Emmanuel Krivine, malade, est remplacé par Charles Dutoit, fringant maestro qui, avec une ironie narquoise, défie ses quatre-vingt-cinq printemps en hissant, comme étendard au vent, la célèbre Ouverture que Mikhail Glinka avait élaborée en 1842 pour son interminable opéra féérique Rouslan et Ludmila. Abordé en fanfare, le thème belliqueux du preux chevalier se laisse amadouer par la fluidité des cordes graves chantant la passion amoureuse pour la belle princesse, alors que les accents pugnaces des vents dépeignent les sournoises menées du nain Tchernomor. Mais le pianissimo des violoncelles épure l’atmosphère pour le retour du paladin victorieux.

Le programme se poursuit avec le non moins célèbre Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op.35 de Piotr Ilyitch Tchaïkovski qui aurait dû avoir pour soliste Leonidas Kavakos ; blessé à une main, il doit céder la place à son collègue ukrainien Valeriy Sokolov, le remplaçant au pied levé. A une introduction orchestrale extrêmement souple, il répond en finesse par des demi-teintes aseptisées empreintes d’une noire tristesse. Pouvant compter sur une direction contrainte à retenir toute poussée mélodique, il allège chaque trait virtuose en usant d’un large rubato sur chaque fin de phrase. Mais ce parti pris d’intimisme forcené noie tant les séquences cantabile de l’Allegro moderato que la Canzonetta à peine perceptible, rendant exsangue l’ensemble du discours. Heureusement pour le Vivacissimo final, le chef lâche la bride, obligeant le soliste à donner du son dans ces motifs de danse populaire qui finissent par le revigorer. Curieusement, il faut en arriver au bis, le Recitativo et Scherzo- Caprice en ut dièse mineur op.6 de Fritz Kreisler, pour que Valeriy Sokolov révèle sa juste valeur par une sonorité ambrée qui se double d’une virtuosité époustouflante.

En seconde partie, Charles Dutoit revient à son compositeur de prédilection, Igor Stravinsky, en présentant la version originale intégrale de son premier ballet, L’Oiseau de feu, créé par les Ballets Russes à l’Opéra de Paris le 25 juin 1910 sous la direction de Gabriel Pierné. En véritable alchimiste du coloris, il y fait valoir l’expérience d’une vie au service d’une musique dont il connaît les moindres secrets, à partir de l’Introduction, menaçant bourdonnement des graves qu’il irise par le legato des bois et le glissando des harpes en leur concédant le temps de jouer. Alors que l’Oiseau danse sur des formules virevoltantes, il sollicite le pizzicato des violoncelles présageant la capture du volatile. L’apparition des princesses ouvre le cantabile comme un éventail aux mille couleurs que referme leur khorovod en tendres demi-teintes. Trompettes et cors éveillent le jour, tandis que s’avancent les forces maléfiques, à grand renfort de cuivres grinçants. De féroces tutti ponctuent la Danse infernale de Kastcheï, recadrant les bois en pagaille qui s’effacent devant le basson consolateur murmurant sa Berceuse. Sur un trémolo presque irréel des cordes, le cor éloquent annonce un monde nouveau totalement rasséréné qui éblouit le public en déclenchant de frénétiques hourras. Inoubliable !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 18 mai 2022

Crédits photographiques : © Bruno Fridrych

 

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