A Paris, Pierre Lacotte chorégraphie Le Rouge et le Noir 

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En ce début de saison 2021-2022, le Ballet de l’Opéra de Paris présente Le Rouge et le Noir, une création de Pierre Lacotte qui défie le fardeau de ses quatre-vingt-neuf ans en concevant chorégraphie, décors et costumes de ce long spectacle en trois actes d’une durée de près de trois heures. En seize tableaux, il résume la trame du roman de Stendhal datant de 1830, tout en utilisant le procédé de la toile peinte en noir et blanc pour lui conférer un côté suranné, quitte à recourir à l’une des gravures de Piranèse pour la prison. La collaboration avec Jean-Luc Simonini lui permet d’élaborer trente-cinq de ces toiles qui s’enchaînent harmonieusement, alors qu’avec l’aide de Xavier Ronze, sont produits quatre cents costumes jouant essentiellement sur l’opposition du noir et du blanc, que mettent en valeur les habiles éclairages conçus par Madjid Hakimi.

Pour la musique, Pierre Lacotte se tourne vers la production lyrique de Jules Massenet en demandant à Benoît Menut d’arranger, voire de réorchestrer, nombre de pages chorales et vocales extraites de plusieurs ouvrages moins connus tels que Marie-Magdeleine, Cendrillon ou Esclarmonde. Et c’est Jonathan Darlington qui en présente la réalisation en dirigeant l’Orchestre de l’Opéra National de Paris et les Chœurs enregistrés préalablement. Du reste, quel dommage que l’on ne donne pas au mélomane la liste de ces œuvres …

Quant à la chorégraphie, elle fait appel à 104 danseurs, une quarantaine de figurants et 10 élèves de l’Ecole de Danse. Elle s’ingénie à produire une série de tableaux d’ensemble somptueux pour le jardin des Rênal et pour le bal dans les salons du Marquis de la Mole. Mais le résultat est moins convaincant dans la scène du séminaire où la gestique des futurs prêtres frise l’exagération, voire le grotesque. Néanmoins, me dira-t-on, comment faire danser un homme en soutane ?... Par contre toute variation pour un premier plan, tout pas de deux ont une signification expressive intense. Ainsi, Julien Sorel, le fougueux protagoniste qui est confronté à dix-huit interventions en solo ou en duo, abandonne la retenue du fils de charpentier provincial pour devenir le précepteur d’une rare intelligence qui saisit l’opportunité de se faire une situation dans la bonne société. A la représentation du 30 octobre, Hugo Marchand lui prête un sourire vainqueur en recourant à toutes les figures de la technique classique pour s’imposer, alors que les ‘portés’ traduiront sa passion incontrôlée pour Madame de Rênal incarnée magistralement par Dorothée Gilbert. S’il embrasse la trace de ses pas, il sait raidir sa silhouette dans le carcan du séminaire avant de la libérer dans le marivaudage avec la Maréchale de Fervaques et dans les langoureuses étreintes de Mathilde de la Mole. Mais le feu dévorant du désir le consumera dans sa geôle où il demeurera prostré au pied de celle qu’il a toujours aimée et qui, au lendemain de l’exécution, ne sera plus qu’un spectre hirsute qui finira par s’écrouler. De cette liaison incandescente prendra ombrage la servante Elisa, éprise de Julien, que Roxane Stojanov rapproche d’une Fée Maléfice qui ourdit complot sur machination pour parvenir à ses fins et qui se retrouvera seule avec sa vengeance finalement assouvie. La jeune Bianca Scudamore campe Mathilde de la Mole avec cette ingénuité de femme-enfant qui se veut capricieuse pour céder d’autant plus aisément à l’attirance de ce Julien qu’elle tourmente lors de violentes altercations qui dépassent ses réels moyens. Héloïse Bourdon croque avec une malice calculée la Maréchale de Fervaques qui, elle aussi, s’attacherait au jeune protégé de l’Abbé Chélan d’Audric Bezard, soutien indéfectible que mettrait en pièces le rigoriste Abbé Castanède de Thomas Docquir. Marc Moreau (Monsieur de Rênal) partage avec Andrey Klemm (le Marquis de la Mole) la dignité retenue, bafouée par celui qu’ils ont élevé socialement, tandis que Camille de Bellefon (la Marquise de la Mole), Yannick Bittencourt (le Comte Altamira) et Yann Chailloux (le Marquis de Croisenois) assument les seconds plans avec professionnalisme. Lorsque l’ultime rideau tombe sous de délirantes acclamations, fusent du parterre des ovations tout aussi nourries pour Pierre Lacotte qui, visiblement ému, se lève de son siège pour les recueillir avec un sourire reconnaissant.

Paul-André Demierre

Paris, Palais Garnier, le 30 octobre 2021

Crédits photographiques : Svetlana Loboff / ONP

 

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