Ariane à Naxos à Florence ? Non prioritaire

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Richard Strauss (1864-1949) : Ariane à Naxos, opéra en un acte avec prologue. Franz Tscherne (Le Majordome), Markus Werba (Un Maître de musique), Sophie Koch (Le Compositeur), AJ Glueckert (Le Ténor/Bacchus), Jessica Pratt (Zerbinetta), Krassimira Stoyanova (La Primadonna/Ariane), etc ; Orchestre du Mai florentin, direction Daniele Gatti. 2022. Notice et synopsis en italien et en anglais. Sous-titres en italien, en anglais, en français, en allemand, en japonais et en coréen. 133’00’’. Un DVD Dynamic 37970. Aussi disponible en Blu Ray.

Joué en juin 2022 en plein centre historique de Florence, au Teatro della Pergola que le souvenir de la création de Macbeth de Verdi en 1847 irradie toujours, le si original opéra Ariane à Naxos de Richard Strauss a connu quelques déboires, des changements dans les soirées et la distribution ayant dû être effectués en cours de route en raison de la Covid. Le présent DVD propose la vision des dernières séances des 27 et 29 juin. Sophie Koch, qui connaît bien le rôle, a remplacé au pied levé et sans répétition Michèle Losier. Franz Tscherne s’est chargé du Majordome au lieu d’Alexandre Pereira, et Jessica Pratt, en Zerbinetta, est arrivée pour ces représentations tardives. 

On dispose donc ici d’une équipe remaniée qui, en dépit des circonstances, s’en tire avec honneur sur le plan vocal. Il faut dire qu’elle est bien aidée par Daniele Gatti (°1961). A la tête de l’Orchestre du Mai florentin, il emmène des musiciens très concernés, dans une ambiance dynamique, pleine de couleurs contrastées et marquée par une sensibilité permanente, avec un soin apporté aux richesses orchestrales distillées par le compositeur. On connaît l’originalité de l’œuvre, avec son prologue qui précède l’opéra, et son scénario sur lequel nous ne reviendrons pas. Le plateau réuni dans ces circonstances bousculées est cohérent et équilibré. Avec le métier qu’on lui connaît, Sophie Koch, voix nette et assurée, avec des aigus bien placés, est un excellent Compositeur. Face à elle, Markus Werba est un Maître de musique qui allie assurance scénique et aisance dans l’expression. On apprécie l’allure de Franz Tscherne dans le rôle parlé du Majordome, l’expressivité de Jessica Pratt dans une Zerbinetta qui ne manque pas de stature, en particulier dans la deuxième partie, les qualités de Krassimira Stoyanova en Primadonna et en Arianne, sans oublier les autres protagonistes, dont les trois nymphes délicieuses que sont Maria Nazarova, Anna Doris Capitelli et Liubov Medvedeva. On soulèvera de légères réserves pour AJ Kluegert en Ténor et en Bacchus, sa projection se révélant parfois délicate dans le duo du final avec Ariane. Mais ceci est une remarque de peu de poids face à un ensemble cohérent qui propose une version vocale et orchestrale que l’on peut, malgré la concurrence, considérer comme satisfaisante.

On en oublierait presque le fait qu’il s’agit d’un spectacle filmé ; on aurait même tendance à vouloir s’en abstraire, car, de ce côté, les choses se gâtent. La mise en scène est l’œuvre de Matthias Hartmann (°1963) qui, après une présence à Zurich, a été directeur du Burgtheater de Vienne de 2009 à 2014. Il compte à son actif une série de productions, dont certaines ont été contestées. Dans cette Ariane à Naxos, dans lequel il est proposé de faire de l’opéra dans l’opéra, on ne trouve que peu de légèreté et de transparence, mais bien de la boursouflure. Il faut dire qu’il n’est guère aidé par le décor de salon de Volker Hintermeier, trop surchargé dans le prologue : un véritable lieu de pagaille, avec accumulation d’objets disparates et biscornus, dont des divans qui prennent beaucoup de place et empêchent les chanteurs de se mouvoir avec aisance. C’est le règne de la confuse effervescence. 

On finit vite par se lasser de ce montage hétéroclite, que l’on qualifiera de composite -pour ne pas dire « kitsch »-, au point de finir par s’ennuyer dans ce contexte que ne rehaussent pas les costumes extravagants d’Adriana Braga Peretzki. La direction d’acteurs est assez relâchée (un effet de la pandémie ?) et manque de précision. Les lumières de Valerio Tiberi ne sont pas attirantes non plus, avec deux énormes lettres NO colorées qui dominent le plateau (pour soutenir le désarroi du Compositeur ?), ce NO se transformant en NAXOS en seconde partie (pour que le spectateur ne se trompe pas quant au lieu ?). Cette seconde partie n’est guère plus légère en termes de décor, même si celui-ci est un peu moins chargé. Mais la mise en scène demeure peu imaginative, et le pastiche devient de plus en plus lourd. Ce qui est ici insatisfaisant pour l’œil pourrait relancer un débat qui n’est pas neuf, celui de la nécessité d’immortaliser ou non certains spectacles qui bénéficient déjà d’une abondance de références de qualité. A Florence, la prestation vocale et orchestrale a beau être intéressante, ce n’est quand même qu’une maigre consolation.   

Si l’on veut éprouver du bonheur avec un spectacle filmé d’Ariane à Naxos, il y a l’embarras du choix. On peut aller vers la version déjà ancienne de Salzbourg en 1965, où la Philharmonie de Vienne est dirigée par Karl Böhm, avec Sena Jurinac, Reri Grist et Jess Thomas (TDK, 2008), ou vers la somptueuse version de 1988 au Metropolitan de New-York, dirigée par James Levine, avec Jessye Norman, Kathleen Battle, Tatiana Troyanos et James King (DG, 2002). Ou encore vers Christian Thielemann, avec la Staatskapelle de Dresde, Renée Fleming, Sophie Koch déjà, et Robert Dean Smith (Decca, 2013). Il y a d’autres trésors dans la vidéographie d’Ariane à Naxos, comme à Zürich, avec Emily Magee, Elena Moșuc et Michael Volle, sous la baguette de Christoph von Dohnányi (TDK, 2006). Et même un autre Karl Böhm à l’Opéra de Vienne en 1978, avec Gundula Janowitz, Edita Gruberova et René Kollo (DG, 2007). Que de richesses !

Même doté d’une bienveillante (et potentiellement coupable) indulgence, on considérera que la production de Florence de juin 2022 n’est pas du nombre, et n’est pas prioritaire.

Note globale : 5/10

Jean Lacroix 

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