Beethoven : une intégrale d’envergure pour le Cuarteto Casals

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Quatuors à cordes n° 1, 3, 4 (op. 18), 7 (op. 59 n° 1), 12 (op. 127) et 16 (op. 135) – Sonate pour piano n°9 (op. 14 n° 1).  Cuarteto Casals. 2018 – 3h01’22’’ – Textes de présentation en français, anglais et allemand – Harmonia Mundi HMM902400.02

En 2017, le Cuarteto Casals offrait au public de Barcelone une intégrale des quatuors de Beethoven en 6 concerts, puis exportait ce programme dans les plus grandes salles d’Europe et au Japon, afin de célébrer son 20e anniversaire.

C’est à présent au disque qu’ils s’attaquent à ce monument du répertoire : les 16 quatuors du compositeur viennois (17 en comptant la grande fugue comme un quatuor séparé) constituent en effet un corpus inégalé dans l’histoire de la musique. Pour ouvrir cette intégrale en 3 volumes, la formation espagnole nous présente, de façon assez originale, les œuvres « charnières » de chaque période créatrice -on divise traditionnellement la production de Beethoven en 3 parties : les premiers quatuors (op. 18), les quatuors de la maturité (op. 59, 74 et 95) et les derniers quatuors (op. 127, 130, 131, 132, 133 et 135).

Nous commençons donc par les quatuors n° 1, 3 et 4 (respectivement les premiers et le dernier du cycle, puisque la numérotation usuelle ne correspond pas à l’ordre de composition), où Beethoven, qui avait à peine 30 ans, se situe encore dans la lignée de Haydn et Mozart. L’interprétation des Casals pourrait être qualifiée de « classique » : un discours très bien construit, une sonorité parfaitement claire et un vibrato très discret. Ils parviennent à rendre toute l’émotion de certains mouvements lents avec un tempo assez allant, ce qui leur permet de ne pas s’étaler dans un excès de pathos : le mouvement lent du premier quatuor y gagne un côté presque implacable, avec des traits en triples croches incisifs comme des coups de poignard. On aimerait parfois un premier violon un peu plus présent, surtout quand les trois autres parties se partagent l’accompagnement (adagio du 1er quatuor déjà cité, ou premier mouvement du quatuor n° 4) : en comparaison, écoutez par exemple la magnifique mise en relief des Alban Berg (Warner classics, réédition en 2012)

Le deuxième disque associe au 7e quatuor en fa majeur (op. 59 n° 1), chef d’œuvre qui montre une grande évolution du style de Beethoven, la sonate pour piano en mi majeur op 14 n°1, antérieure aux quatuors de l’op. 18. Beethoven en avait réalisé lui-même une version pour quatuor en 1802, la transposant en fa majeur pour mettre à profit le do grave du violoncelle. Cet arrangement est assez rarement ajouté à l’intégrale des quatuors (Tokyo String Quartet, Endellion String Quartet, …). Toujours très délicats, les musiciens du quatuor Casals vont jusqu’à donner l’impression, à certains endroits, de jouer sur des œufs : on aimerait parfois un peu plus de franchise…

Le 12e quatuor op 127, que 15 ans séparent du 11e, ouvre majestueusement la dernière série de quatuors de Beethoven. Il est suivi ici par le 16e et dernier quatuor, contemporain de la tentative de suicide du neveu de Beethoven, fait qui l’avait énormément marqué. Son finale, qui porte le titre de « résolution difficilement prise », a fait couler beaucoup d’encre : a un motif de 3 notes dans un tempo lent (muss es sein ? Le faut-il ?) répond son renversement énoncé 2 fois en allegro (Es muss sein ! Il le faut !). Mais l’explication serait moins sérieuse qu’on ne pourrait le penser : un noble avare auquel Beethoven avait exigé une somme d’argent en l’échange du manuscrit de son 13e quatuor, se serait exclamé « Muss es sein ? Faut-il vraiment que je paie ? ».

Les Casals, déjà admirables depuis le début du CD, se montrent exemplaires dans cette troisième partie.  Les syncopes accentuées du début du 12e quatuor semblent rebondir naturellement, sans perdre en intensité ni en violence, et le lento assai du 16e quatuor fait entendre un timbre chaleureux d’une sublime douceur.

Il ne nous reste plus qu’à attendre les 2e et 3e volumes, prévus respectivement pour 2019 et 2020 !

Aline Masset, reporter de l’IMEP

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