Une émouvante ANNA BOLENA  à Lausanne

par

En fond de scène, une longue paroi de bois finement ouvragée, deux ou trois portiques à chambranle que l’on déplace pour suggérer un couloir de palais ou une salle de tribunal, sur la gauche, un lit à baldaquin où le roi se livre à une partie de plaisir torride avec sa nouvelle maîtresse, voilà planté le décor somptueux imaginé par Gary McCann pour la nouvelle production que Stefano Mazzonis di Pralafera a conçue pour Anna Bolena, le trentième ouvrage de Gaetano Donizetti créé au Teatro Carcano de Milan le 26 décembre 1830. Dans une note du programme, il affirme : « J’ai souhaité respecter les intentions du compositeur et de son librettiste en ne perdant pas de vue l’atmosphère et le contexte historique des derniers jours et du destin tragique d’Anne Boleyn ».

Sous un habile jeu de lumières élaboré par Franco Marri, les costumes ‘historicistes’ de Fernand Ruiz resplendissent de coloris chatoyants émanant de brocarts damasquinés ; le vêtement d’apparat d’Henry VIII semble provenir directement du portrait du monarque peint par Holbein le jeune, tandis que sa fillette porte déjà la chevelure rousse qui fera la gloire de la future Elizabeth Ière. La mise en scène développe la trame comme le récit d’une chronique, changeant radicalement de ton avec le dernier tableau : un mur de prison glacial et sa lourde porte de fer sont pris d’assaut par le groupe des suivantes éplorées qui veulent accompagner leur reine ; mais au moment suprême, elle sera laissée seule pour gravir l’escalier l’amenant au lieu d’exécution.

Pour ce qui concerne la partition, il faut d’abord évoquer la direction de Roberto Rizzi Brignoli qui est le véritable moteur d’action, en cultivant autant la précision du trait que le souffle tragique qui tient continuellement en haleine le spectateur, à la tête d’un Orchestre de Chambre de Lausanne de bonne tenue et un Chœur de l’Opéra de Lausanne (préparé par Antonio Greco), beaucoup plus homogène du côté féminin que masculin.

A la suite de l’annulation de Maria Grazia Schiavo pour des motifs personnels, Eric Vigié a fait appel à une artiste américaine, Shelley Jackson qui a déjà chanté le rôle d’Anna Bolena à Karlsruhe et au Festival de Buxton. Le timbre révèle d’abord un coloris rocailleux qui devient beaucoup plus limpide après le premier tableau ; la technique de souffle, bien maîtrisée, lui permet de soutenir les longs ‘passaggi’ vocalisés et la ‘coloratura drammatica’ de l’ultime cabaletta « Coppia iniqua ». Et le personnage a une réelle dimension théâtrale par la noble retenue qu’elle lui prête jusqu’à un finale où son expression fait naître une émotion palpable. Sa rivale, Jane (Giovanna) Seymour est campée par la mezzo géorgienne Ketevan Kemoklidze qui convainc davantage par le jeu que par une sonorité astringente laissant apparaître de fréquentes stridences dans l’aigu. La basse Mika Kares use de l’ampleur de sa voix pour dessiner Henry VIII, rôle protéiforme difficile dont il ne souligne que le machiavélisme despotique. Tout aussi problématique est l’incarnation du premier soupirant de la souveraine, Richard Percy, conçu pour les moyens phénoménaux du ténor Giambattista Rubini. Aujourd’hui face à un diapason beaucoup trop haut prôné, dans les années soixante, par deux ou trois chefs d’orchestre séniles en mal de brillance, le suraigu frise l’impossibilité ; et le jeune ténor uruguayen Edgardo Rocha relève bravement le défi en respectant scrupuleusement le ‘texte’ établi par la révision de Paolo Fabbri, ce qui rend sa composition profondément touchante, même si le son émis tient de la performance de l’acrobate sans filet. Emouvantes, les prestations de Cristina Segura, suggérant bravement l’inconsciente maladresse du page Smeton, et de Daniel Golossov, Rochefort au grand cœur, confronté à l’impassibilité de l’officier royal Hervey (Aurélien Reymond-Moret). Au rideau final, l’ensemble du plateau remporte un véritable triomphe, ô combien mérité !    

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 3 février 2019

Crédits photographiques : Alan Humerose

                                                      

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.