Bel canto en habits d’Arlequin avec Jakub Józef Orliński

par

Facce D’AmoreAirs de : Cavalli, Boretti, Bononcini, A.Scarlatti, Haendel, Orlandini/Mattheson, Predieri, Matteis, Conti, Hasse. Jakub Józef Orliński, Il Pomo D'Oro,  Maxim Emelyanychev. 2019 -76’35 -livret en anglais, français, allemand- textes en allemand, italien, anglais, français- chanté en italien- Erato  0190295423384

Il n’y a pas loin de la Breakdance à la Commedia del arte. C’est ce qu’illustre le contre-ténor polonais de 29 ans -adepte des deux disciplines- avec ce récital couvrant la période de la deuxième moitié du XVIIe italien. Les photos de l’album le montrent rieur, vêtu d’un costume aux losanges rouges, jaunes, oranges, Arlequin protéiforme bien différent d’un Apollon moderne auquel il aurait été tentant de le réduire. Son chant fait alterner cabrioles, longues tenues linéaires, aigus acérés pour basculer dans des graves bien timbrés, explorant un espace expressif élargi.

En choisissant la thématique de l’amour, l’interprète semble de même en avoir surtout recherché les contraires. « Haine, vengeance, amour / courroux, raison, devoir/ se font la guerre en mon coeur : / et j’ignore qui vaincra » s’écrie Fernando (Don Chisciotte, Francesco Bartolomeo Conti) et des formes de vocalité aptes à rendre compte d’insolubles conflits intérieurs. Depuis son premier enregistrement, « Anima Sacra » (2018), commenté dans ces colonnes et qui rassemblait notamment Fago, Zelenka, Schiassi et Durante, la voix et la personnalité artistique du musicien ont manifestement beaucoup évolué.

Son audace, son refus d’afféterie, la tension qu’il insuffle (Nerone ou Orlando) prodiguent à l’expression de la douleur quelque chose de révolté, d’acerbe. Si la tendresse conserve toute sa place à côté des fureurs, larves, spectres et tempêtes, elle reste toujours contenue. Acrobate également, l’orchestre Il Pomo d’Oro, placé sous la direction de Maxim Emelyanychev, compense des effectifs restreints par une insolence, un sens du rythme et des contrastes pleins de vivacité à défaut de rondeur. A cet égard, la prise de son capricieusement réverbérée ne flatte malheureusement pas la texture sonore générale.

Parmi des compositeurs peu connus présentés dans ce programme, on remarque notamment l’ air incisif de Giovanni Antonio Boretti ( 1638-1672) Chi scherza con Amor extrait d’Eliogabalo porté par une musique espiègle ; élan dansant que l’on retrouve chez Giovani Bononcini (1670-1747) Predieri ou Orlandini (Nerone) à travers le manuscrit perdu de 1721 mais heureusement recopié par Mattheson en 1723 à l’intention du public de Hambourg. Pour être agréables, voire charmeuses –Hasse, Orfeo, première mondiale composé pour Farinelli- ou formidables de vitalité comme le Ballo dei Bagatellieri instrumental de Nicola Matteis, ces partitions palissent toutefois auprès de celles du grand Haendel. Voi che udite il mio lamento, rutilant joyau vocal comme l’extrait d’ « Amadigi di Gaula », Pena tiranna, ou encore la scène Ah stigie larve ! … Vaghe pupille d’Orlando n’évoluent pas à la même altitude. Reste que ce belcantisme italien qui a conquis l’Europe offre un paysage sonore des plus séduisants et que cet « instantané » d’un artiste en mouvement révèle également un tempérament musical viril, ardent, en pleine métamorphose.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 - Interprération 9

Bénédicte Palaux Simonnet

 

 

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