Charismatique Nielsen, avec Edward Gardner et l’archet de James Ehnes

par

Carl Nielsen (1865-1931) : Symphonie no 4 Op. 29 FS 76 (« L’Inextinguible ») ; Concerto pour violon Op. 33 FS 61. James Ehnes, violon. Edward Gardner, Orchestre philharmonique de Bergen. Juin 2022. Livret en anglais, allemand, français. TT 67’48. SACD Chandos CHSA 5311

Il y a près d’un siècle, le 22 juin 1923, un concert londonien dirigé par Nielsen lui-même, l’unique qu’il donna dans la capitale anglaise, réunissait les deux œuvres au programme de ce disque, nous rappelle son livret. Un CD de Yehudi Menuhin et Arve Tellefsen proposait le même couplage (Virgin, décembre 1988, janvier 1989). Au même rang que la cinquième, la quatrième de ses six symphonies reste parmi les plus appréciées du compositeur danois, et se trouva souvent enregistrée hors intégrale, si l’on se réfère aux témoignages d’Igor Markevitch (DG), John Barbirolli (Nixa), Jean Martinon (RCA), Alexander Gibson (RCA), Zubin Mehta (Decca), Simon Rattle (Emi), et Herbert von Karajan (DG). Non des moindres baguettes !

Nos colonnes ont déjà vanté la réussite de James Ehnes, dans Alban Berg. Pour les labels Chandos ou Onyx, le virtuose canadien s’est également illustré dans d’autres concertos du XXe siècle : Elgar, Britten, Walton, Bartok, Chostakovitch, Khatchatourian, Prokofiev, Stravinsky, Barber, Korngold voire les moins attendus James Newton Howard et Aaron Jay Kernis. On pouvait donc s’attendre à ce qu’il aborde ce moderne et dérangeant opus scandinave, –sous cette latitude, le plus célèbre après celui de Sibelius.

Une émission sûre et argentée fait rayonner le Praeludium, que James Ehnes darde entre brio et lyrisme, en évitant tout sécheresse. Le même volontarisme anime l’Allegro cavalleresco, où l’archet intègre les péripéties dans une tension narrative remarquablement soutenue. Autorité mais souplesse. Variété mais non disruption, comme une galerie de personnages d’un roman picaresque. Là encore, on succombe à une sonorité brillante, magistralement articulée. Le second diptyque s’amorce sans temps mort : le chef resserre les ambiances de l’Adagio, le soliste y concentre un intense raffinement. Puis enchaîne sur une chorégraphie ajustée, situant le Rondo entre folklore sublimé et étude de caractère, densément incarné par la Philharmonie de Bergen. Pile un an après l’admirable version du tout jeune Johan Dalene chez le label BIS (avec John Storgårds, juin 2021), la discographie récente rehausse l’intérêt pour cet opus dont le langage pas toujours évident donne du fil à retordre à certains mélomanes. Par ses tempi astringents et son éloquence flamboyante, cette nouvelle exploration de ce complexe paysage psycho-émotionnel s’avère idéale pour rallier les suffrages. 

Pour « L’Inextinguible », les amateurs de SACD s’étaient probablement emparés du témoignage d’Alan Gilbert à New York (Da Capo, mars 2014) et pourront maintenant lui ajouter celui d’Edward Gardner, qui bénéficie d’une délectable phonogénie. Son premier témoignage dans Nielsen convainc, dès l’introduction exposée avec charisme. Malgré le matériau cossu que matelasse l’orchestre norvégien, le chef anglais a bien saisi l’importance d’une progression continue, de la directivité, et de l’effet abrupt. Son interprétation s’inscrit dans une dialectique entre opulence et instinct vitaliste. Corollaires d’une vaste gradation dynamique, certains replis semblent toutefois trop ténus. Dans les épisodes conflictuels, interrogés par les déflagrations de timbales, on pourrait souhaiter une prestation plus lapidaire. Mais dans l’ensemble, ce confort ne pervertit pas une cohérence stylistique aussi séductrice qu’efficace. On ignore si ce disque prélude à une intégrale symphonique chez Chandos, qui en ce catalogue actualiserait celle déjà trentenaire de Guennadi Rojdestvenski. En l’état, ces prémices offrent un engageant portrait de Nielsen. Et pour le néophyte, une saine invitation à découvrir son singulier univers musical.

Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 9 (symphonie) à 10 (concerto)

Christophe Steyne

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