Création contemporaine pour voix et orgue, deux nouvelles parutions chez Organroxx

par

Kaléidoscope. Dialogue entre la voix et l’orgue. Christophe Marchand (*1972) : Cuncti Simus Concanentes ; Nun komm der Heiden Heiland ; O Lamm Gottes unschuldig ; Vater unser im Himmelreich ; Sonate kaléidoscopique ; Pietà ; Pièces brèves (Esquisse, Échappée belle, Sous un ciel d’azur, Clin d’œil) ; Le Livre de Jérôme Bosch (Genèse, Chute, Prière, Enfer). Françoise Masset, voix. Pascale Rouet, orgue. Livret en français, anglais. Août 2021. TT 74’03. Organroxx ORG 06

Simeon ten Holt (1923-2012) : Canto Ostinato [arrgmt Aart Bergwerff]. Aart Bergwerff, orgue. Wishful Singing. Anne-Christine Wemekamp, Maria Goetze, soprano. Marleen van Os, mezzo-soprano. Stella Brüggen, Marjolein Stots, contralto. Livret en néerlandais et anglais. Mai 2021. TT 65’08. Organroxx ORG 07

Le projet de ce disque consacré à Christophe Marchand remonte à 2019, lors de la création de Pietà en Suisse par les mêmes interprètes de prédilection, dont Pascale Rouet qui collabore depuis trois décennies avec le compositeur. Elle fut son professeur d’orgue, et l’a déjà inclus au programme de plusieurs albums chez les labels Hortus, Pavane ou Triton. Ainsi dans le Musiques en miroirs qui lui était entièrement consacré, capté à Charleville-Mézières et dûment distingué par la critique.

Ce nouveau CD intitulé « Kaléidoscope » ouvre le regard sur une sélection d’opus tout récemment écrits (hormis Le Livre de Jérôme Bosch entrepris en 2004), pour voix et orgue, et qui connaissent ici leur premier enregistrement. Associées par leur création à de larges instruments (Cathédrale de Genève, Église Sainte-Croix de Bordeaux, Basilique de Trèves) ou de généreuses acoustiques (Église des Jésuite de Porrentruy), ces œuvres ont besoin d’espace pour s’épanouir en fresques, et s’offrent un écrin à leur mesure en la Collégiale Sainte-Waudru de Mons. Hormis les photos et quelques indications figurant sur la couverture intérieure du digipack, on aurait aimé que le livret présentât davantage ce vaste orgue de 70 jeux, restauré en 2018 par les ateliers Klais et Thomas.

L’importance du sacré pour Christophe Marchand se retrouve dans la déclinaison sur le Stabat Mater, dans l’hymne Cuncti simus concanentes provenant du Livre vermeil de l’Abbaye catalane de Montserrat (XIVe siècle) et déroulée en alternatim dans la manière des suites du Grand Siècle, ou encore dans les trois chorals inspirés par quelques-unes des plus célèbres mélodies du culte luthérien (Viens maintenant, Sauveur des Païens ; Ô innocent agneau de Dieu ; Notre Père qui êtes aux Cieux). En une dizaine de minutes, la Sonate kaléidoscopique (en hommage au quatre-vingtième anniversaire de Jean-Pierre Leguay) exploite la gamme de contrastes et l’ivresse fantasmagorique qu’appelle son titre.

L’exploration iconographique caractérise aussi le Livre évoquant les retables et panneaux du peintre flamand : La Création du Monde, le Chariot à foin, Ecce Homo, Portement de croix, Saint Jérôme en prière, et les visions d’enfer et damnation du Jugement dernier, traitées en vertigineuse toccata, que Christophe Marchand avait déjà abordées dans ses Danses macabres. Conçues pendant le confinement sanitaire de 2020, les Pièces brèves rappellent la science littéraire, musicale et historique de l’auteur, illustrant tour-à-tour le Stylus Fantasticus des maîtres baroques du nord, un poème de Victor Hugo ou la fameuse chevauchée de la cinquième symphonie de Widor.

On sait l’implication de Pascale Rouet dans la valorisation du répertoire contemporain, on sait l’éclectisme et les talents d’éloquence de Françoise Masset, on sait combien les micros de Paul Baluwé peuvent offrir aux tuyaux un impact et une projection saisissants. Tous les ingrédients sont réunis pour ce bouillon de culture : un portrait haut en couleurs de ce que l’orgue aujourd’hui peut produire d’imaginatif et convaincant. L’œil écoute et se grise volontiers.

Achevé en 1976, après que Simeon ten Holt s’était écarté du formalisme sériel qu’il avait adopté dans la décennie précédente, Canto Ostinato a connu un engouement qui ne se dément pas, renforcé par son caractère de happening musical. La notice n’hésite pas à écrire qu’il est « inséparablement lié au paysage musical néerlandais, comme naguère la Matthäus Passion de Bach ». Rien moins. En attestent de nombreuses exécutions, déclinées pour diverses formations librement dérivées de l’effectif (trois pianos et orgue électronique) de la création initiale en 1979 à Bergen, ville natale du compositeur : quatuor de saxophones, quintette de piano, octuor de violoncelles, harpe et électronique…. Cela dans différents contextes, même dans des endroits aussi casual que hall de gare et tunnel de métro. Le label Brilliant propose plusieurs coffrets incluant de trois à douze disques, explorant diverses configurations et étendues. En 2011, un film a été réalisé sur cette œuvre et sa réception par le public. Phénomène de société.

L’œuvre se rattache au minimalisme et au procédé répétitif, et se déploie sur la durée variable qu’accorde l’exploitation d’une centaine de cellules tonales structurables par des ponts. Une sorte d’ADN séminal, de carnet d’ingrédients qui prend vie par la recette des interprètes, ouverte à leur initiative en termes d’articulation, dynamique, sur une pulsation constante qui forme le rail rythmique. On mesure la souplesse du processus créatif, l’importance de l’écoute mutuelle entre performers, tout en restant ouvert à la perception de l’auditeur, voire son interaction avec lui. Car Canto Ostinato se veut en symbiose avec son biotope. Par métaphore, la notice relie cette conscientisation à une attitude de compréhension sociale, sociétale, une sensibilité aux enjeux environnementaux, climatiques, migratoires, en phase avec l’engagement idéologique de l’auteur.

Le présent arrangement pour quintette vocal et orgue émane d’Aart Bergwerff, en collaboration avec la troupe féminine de Wishful Singing, qu’on sait aussi à l’aise dans le chant grégorien que le répertoire contemporain. L’instrument est celui de la Grote Kerk de Breda, d’esthétique baroque allemande, dont Aart Bergwerff est titulaire depuis 2012. Un article de la notice du CD s’intitule « relaxation », et celle-ci invoque un « chaleureux bain de sons cathartiques ». Effectivement, l’expérience est immersive. Côté tuyaux, on salue l’alliance de rectitude métrique et de moelleuses registrations (plus perçantes lors des points névralgiques). Les sirènes de Wishful Singing colorent l’édifice par leurs enchanteresses harmonies. Même si cet objet sonore dépasse à peine l’heure (quand certaines alternatives en durent plusieurs…), quelques systèmes nerveux estimeront le résultat intéressant mais bien long faute de renouvellement ; une épreuve inhérente au dogme « répétitiviste ». D’autres oreilles succomberont à cet hypnotique mécanisme, à cette litière embaumée. Le minimalisme possède au moins la vertu de cliver. Nous n’avons pas souhaité prendre parti, -tentez.

Kaléidoscope : Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5

Canto Ostinato : Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : ? – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 



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