Dossier Espagne (III) : la zarzuela et l'âme madrilène

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Aucun panorama de l'Espagne musicale ne saurait être complet sans la Zarzuela, un mot qui pour les touristes est synonyme d'un succulent plat de poissons. 

Mais c'est que précisément la Zarzuela, comme genre musical, échappe à l'Espagne des touristes. Celle-ci tend à identifier la Péninsule tout entière à la seule Andalousie, dont la réalité culturelle est pourtant très différente de celle du reste du pays. Or, s'il existe des compositeurs de Zarzuelas originaires de diverses régions (des Basques en particulier, mais aussi des Catalans), le genre est essentiellement madrilène. Au même titre que l'opérette de Johann Strauss ou de Franz Lehar est viennoise, que l'opéra-bouffe d'Offenbach est parisien ou que les comédies musicales de Gilbert et Sullivan sont londoniennes : autant de folklores urbains, et ceux des grandes capitales. Comme les exemples déjà cités, la Zarzuela, soit "grande" (en deux ou trois actes), soit, et surtout, relevant du "genero chico" (le "genre petit", en un seul acte) est une comédie mêlée de nombreux couplets, airs, danses, intermèdes et ensembles, mais dont la trame dramatique consiste en dialogues parlés.

Or ceux-ci sont si intimement liés aux secrets de la vie madrilène, celle des quartiers populaires mais aussi celle des grands boulevards, que leur parfum, fait d'allusions à un quotidien familier, s'évente dès qu'il passe les frontières. La  belle collection éditée  par Auvidis et désormais diffusée par Naïve, et qui met enfin les chefs-d'oeuvre du genre à la disposition du public international, renonce à ces dialogues parlés "inexportables", et d'ailleurs en partie désuets, au prix d'une moindre vérité théâtrale. C'est la problématique du genre. 

La Zarzuela naquit au XVIIe siècle et tire son nom de celui d'un palais des environs de Madrid entouré de ronces (zarzas). Après un siècle d'éclipse, le genre ressuscita, totalement renouvelé, pour devenir l'expression la plus typique de l'art musical espagnol durant la seconde moitié du XIXe siècle, soit avant la grande renaissance personnifiée par Albeniz, Granados et Falla. Plusieurs des "zarzuelistes", les plus célèbres écrivirent également de graves opéras, voire même de la musique de chambre (Breton) ou se livrèrent à de savantes recherches musicologiques sur le glorieux passé de l'Espagne (Barbieri). On pense à un Sullivan rêvant de passer à la postérité dans les genres "nobles" et triomphant au contraire dans la veine légère. Ce fut le cas également du premier des grands "zarzuelistes", Francisco Asenjo Barbieri (1823-1894), dont la "zarzuela grande" Jugar con fuego (Jouer avec le feu) donne le départ, en 1851, à une floraison qui durera presque un siècle. Cinq ans plus tard, il fit inaugurer le Teatro de la Zarzuela qui fut dès lors le temple privilégié du genre. Parmi ses quelques 80 Zarzuelas, aucune n'a surpassé la popularité de ce chef-d'oeuvre du "genero chico" qu'est El Barberillo de Lavapiès (Le petit Barbier de Lavapiès, 1874), glorification de ce pittoresque quartier du bas Madrid immortalisé dans une page célèbre des Iberia d'Albeniz.

Trois grands noms dominent la génération suivante, dont la production, qui s'étend jusqu'au début de notre siècle, se consacre surtout au "genero chico". Federico Chueca (1848-1908) chanta Madrid avec un chic et une élégance inimitables, dans des chefs-d'oeuvre comme Agua, azucarillos y aguardiente et La Gran via (1886), sorte de "revue" en un acte qui tint l'affiche durant plus de quatre ans sans interruption. Les paso dobles et interludes orchestraux de Chueca demeurent largement populaire, ce sont de petits joyaux. Tomás Bretón (1850-1923) est l'auteur d'un autre grand classique du "genero chico", l'illustre Verbena de la Paloma (La Fête patronale de la Palombe, 1894, suivie de peu par La Dolores (1895). Toutes ces Zarzuelas ont laissé au folklore quotidien des Madrilènes quantité de personnages devenus autant d'archétypes et des répliques intégrées dans le langage courant, une dimension qui échappe forcément aux non-Espagnols. Non moins fécond, Ruperto Chapi (1851-1909) survit surtout par La Revoltosa. Toutes ces Zarzuelas intègrent habilement des éléments du grand opéra italien (parfois sous forme de fine parodie), mais le résultat est totalement ibérique. Au tournant du siècle, les plus grands compositeurs ne dédaignèrent nullement ce genre soi-disant "mineur", de Granados (Picarol, Maria del Carmen) à Manuel de Falla, dont les chefs-d'oeuvre de maturité sont issus du terreau nourricier de ses Zarzuelas de jeunesse. Et quant à la Pepita Jimenez d'Isaac Albeniz (1897), c'est une authentique petite merveille.

Une dernière génération donna un ultime éclat à la "zarzuela grande" durant le premier tiers de ce siècle, renouvelant le genre par une écriture plus fouillée, plus "moderne", ouverte aux courants de la nouvelle comédie musicale. Cette zarzuela plus sophistiquée est avant tout celle d'Amadeo Vives (1871-1932), dont Bohemios, Maruxa (1914) et surtout l'étincelante Dona Francisquita  remportèrent d'immenses et durables succès. Le Basque José Maria Usandizaga (1887-1915) mourut prématurément après la merveilleuse réussite de Las Golondrinas (Les Hirondelles). Au contraire, le fécond Federico Moreno Torroba (1891-1982) survécut largement à la mort du genre, qui s'éteignit doucement dans les années trente, ne survivant pas à la guerre civile, un genre auquel il donna ses derniers chefs-d'oeuvre, dont Luisa Fernanda.   

Rédaction : Harry Halbreich.   Coordination Bernadette Beyne.

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