Festival La Grange de Meslay : Moisson 2020

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La 56e édition du Festival La Grange de Meslay a eu lieu en un temps de week-end, les 22 et 23 août, contrairement en 3 week-ends au mois de juin. La demi-jauge de la salle, soit environ 400 places, était complète ou presque, montrant l’attente du public attaché à cet événement annuel créé par Sviatoslav Richter dans les années 1960 et à ce lieu mythique.

Théo Fouchenneret livre deux œuvres d'envergure
Le jeune pianiste Théo Fouchenneret ouvre le Festival, le dimanche 22 à 15h, avec deux œuvres consistantes : la Fantaisie de Schumann et la sonate Hammerklavier de Beethoven. Premier Prix du Concours de Genève en 2018 et nommé aux Victoires de la Musique catégorie « révélation soliste instrumental » l’année suivante, Théo Fouchenneret est par ailleurs un excellent chambriste : avec le Trio Messiaen, il a remporté le 1er Prix du Concours de musique de chambre de Lyon ainsi que 5 prix spéciaux en 2019. Sa Fantaisie est fondamentalement gaie et juvénile. Après les deux premiers mouvements qu’il joue avec simplicité, c’est au 3e mouvement qu’on trouve sa personnalité, par exemple dans l’accélération avec un certain sens d’urgence dans la dernière partie en ut majeur « Nach und nach bewegter und schneller », avant l’Adagio ultime. Il est nettement plus à l’aise dans la Hammerklavier (son disque avec cette sonate sort en septembre) qui reste toujours juvénile et fraîche. Son jeu est propre et magnifiquement rendu, mais sa simplicité interroge parfois, comme ces trémolos après une gamme ascendante rapide dans le Scherzo (Prestissimo-Tempo I). La fugue, dont il joue le thème quelque peu « saccadé » et rythmé, est certainement la plus aboutie de son interprétation, avec chaque voix qui ressort des autres. En bis, Marguerite au rouet de Schubert/Liszt sans le caractère tragique.

Le Trio Papavrami, Philips, Guy joue Beethoven
En fin de l’après-midi, le trio constitué du violoniste Tedi Papavrami, du violoncelliste Xavier Philips et de pianiste François-Frédéric Guy joue les Trios Les Esprit et A l’Archiduc de Beethoven. Une bonne énergie règne dans Les Esprit, résolument affirmatif. Dans le mouvement lent, une bonne tension crée la théatralité sans gravité superflue, et les musiciens sont de plus en plus engagés dans le finale. L'Archiduc est marqué par la sonorité boisée du violon complétée par la souplesse et l’ampleur du violoncelle ; le piano solide tantôt les soutient tantôt brille au devant. La clarté de l’articulation est particulièrement plaisante dans le 2e thème du 1er mouvement, alors que la largeur irrigue le 3e mouvement à l’image d’un vaste espace intérieur qui se remplit. Le finale est brutal mais sans aucune violence, il s’agit plutôt d’une secousse bouleversante chère à Beethoven.

Lucas Debargue dans Bach, Scarlatti, Delplace et Debargue
Dans la soirée, le pianiste Lucas Debargue propose un programme qui, après le Concerto Italien de Bach, mêle des œuvres de Scarlatti, de Stéphane Delplace (°1953) et ses propres compositions. Il insère quelques ornements légers dans Bach ; la main gauche obstinée et la main droite mélodieuse s’harmonisent dans le deuxième mouvement, tandis que sa manière de rythmer le 3e mouvement évoque des beats de la musique pop ou du jazz. Le reste du programme est enchainé d’un bout à l’autre en alternant les trois compositeurs, si bien qu’on ne sait pas exactement qui est l’auteur de quelle pièce. Le pianiste affirme lui-même qu’il importe peu que les gens sachent quelle œuvre de quel compositeur il joue, et dans quel ordre, car seule compte la musique . En tout cas, les pièces de Delplace et de Debargue dans ce programme sont toutes inspirées de références du passé, à commencer par leur titre : Septem perpetuum, Prélude et fugue, Toccata… Ce mélange d’époques baroque et moderne tend à réaffirmer la modernité de Scarlatti et de Bach, en insistant parfois sur les mordants ou les trilles et en déplaçant le temps fort, dans une agilité digitale aigüe et tranchante. Il joue deux bis, le 3e Barcarolle de Fauré et la Sonate-Fantaisie de Scriabine. Cette dernière pièce est probablement la meilleure interprétation qu’il offre de la soirée, grâce à son inspiration inventive.

Varvara en maître du clavier
Le dimanche 23 août dans la matinée, nous avons assisté à un récital absolument édifiant de Varvara. Varvara Nepomnyashchaya (son vrai nom) est née en 1983 à Moscou et fait ses études d’abord à l’Ecole Gnessin puis au Conservatoire Tchaïkovsky de Moscou. Parmi de très nombreux prix obtenus à des concours internationaux, citons le 2e Prix au Concours Bach de Leipzig en 2006 et le 1er Prix, Prix spécial pour la meilleure interprétation de concerto de Mozart et Prix du Public au Concours Geza Anda en Suisse en 2012. Son programme composé d’œuvres de Haendel (Chaconne en sol majeur, Suites n° 5 et 7) et de Bach (Fantaisie chromatique et Fugue, Suite anglaise n° 6), montre l’exigence que la pianiste réalise avec perfection. Sa sonorité et la manière de faire sonner l’instrument sont éminemment pianistique et pourtant, on entend le clavecin ou l’orgue selon les pièces et toutes les caractéristiques de jeux sur ces instruments, comme les nuances basées sur le contraste piano/forte, évocation de symphonie (ou plutôt sinfonia) dans les accords, rigueur dans la construction, fluidité étonnante de notes en flot, changement soudain de timbre… Il y a quelque chose de mathématique dans son interprétation mais ce n’est pas de mécanique qu’il s’agit ; c’est l’esprit de l’ordre, du chiffrage et de la logique propres à la période baroque que l’on entend à travers son piano. Ainsi, lorsqu’elle nous propose la Fantaisie chromatique et Fugue en ré mineur de Bach, nous imaginons les différentes registrations d’un grand orgue et son majestueux plein jeu. Quant aux Suites de Haendel et de Bach, l’intimité virtuose (ou la virtuosité intime, c’est selon) du clavecin est mise en valeur. Grâce à une technique sans faille, elle rend toutes les pièces intelligibles, même dans la Sarabande de la Suite n° 7 de Haendel donnée dans un tempo extrêmement lent. Le fait qu’un tel talent reste méconnu en France est incompréhensible, mais cette lacune sera certainement comblée avec la sortie prochaine de ses disques.

Crédits photographiques © V.O. / Jordi Roca

Victoria Okada

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