Premières gravures mondiales de pages symphoniques de Vasily Kalafati

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Vasily KALAFATI (1869-1942) : Symphonie en la mineur op. 12 ; Légende op. 20 ; Polonaise en fa majeur op. 14. Chœur du Département de Musique de l’Université d’Athènes ; Orchestre Philharmonique d’Athènes, direction : Byron Fidetzis. 2020. Livret en anglais et en grec. 81.28. Naxos 8.574132

Né à Eupatoria en Crimée, où sa famille d’origine grecque est venue s’installer à une date ignorée, le compositeur et pédagogue Vasily Kalafatis joue du piano dès l’âge de huit ans, et commence à écrire des pièces de musique de chambre, aujourd’hui disparues, à la fin de son adolescence. Il entre au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, où il est l’élève de Nikolaï Rimsky-Korsakov pour la composition de 1892 à 1899 (il existe une correspondance entre eux) et Nikolaï Galkin pour la direction d’orchestre. Il enseigne à son tour dans le même Conservatoire pendant plus de vingt ans, jusqu’en 1929. Scriabine, Stravinsky ou Heino Heller seront au nombre de ses étudiants. Il se consacre aussi à la direction d’orchestre. Son catalogue est riche de près de cent soixante œuvres, dont un opéra, Les Tsiganes, d’après Pouchkine, un petit nombre de pages symphoniques, de la musique de chambre, des pièces pour piano en grand nombre et des chansons. Il décède à Leningrad lors du siège de la ville en 1942. Bien oublié de nos jours, Kalafati est considéré en Russie avant tout comme un pédagogue. Sur le plan discographique, le silence était jusqu’à présent total, si l’on excepte un très petit nombre de brèves pièces pour piano jouées par Mary-Victoria Voutsas sur un CD confidentiel de 2015, consacré à un panorama de la musique hellénique. Le label Naxos propose aujourd’hui la majeure partie de sa production orchestrale. Il s’agit de trois premières gravures mondiales.

Kalafati compose son unique Symphonie op. 12 en 1899 ; à cette époque, il termine son cycle au Conservatoire de Saint-Pétersbourg et dirige lui-même sa partition lors d’un concert du mois de juillet de la même année. Il la révisera en 1912. L’œuvre est construite de manière classique, en quatre mouvements, et doit beaucoup, sur le plan de la couleur orchestrale aux leçons de Rimsky-Korsakov. Son audition en est particulièrement plaisante, car elle est animée par un dynamisme permanent, avec de belles phases mélodiques. Kalafati entame l’Allegro moderato initial par un thème lyrique, bientôt suivi d’un développement très expressif qui fait la part belle aux aspects dramatiques et grandiloquents. Le compositeur s’inscrit dans la tradition de l’école russe ; on pense très souvent à un épigone de Tchaïkovsky. Un Scherzo enlevé suivi d’un Adagio ardent et généreux soutiennent l’attention, avant un Finale, Allegro moderato, très convaincant, qui n’est pas sans grandeur. Il aura fallu plus d’un siècle pour que cette symphonie soit enfin jouée en Grèce : c’est l’Orchestre Philharmonique d’Athènes, dirigé par Byron Fidetzis, qui en donnera la première audition nationale dans la capitale hellénique le 8 janvier 2017. Le même chef avait déjà proposé la Légende op. 20 en mai 2006, et fera de même pour la Polonaise op. 14 en juin 2018, avec d’autres phalanges athéniennes. Dans la foulée de chaque représentation, Fidetzis a enregistré les trois partitions avec le Philharmonique d’Athènes, en janvier 2017 pour la Symphonie, et en novembre 2018 pour les deux autres. 

En 1905, Kalafati compose sa Polonaise en fa majeur op. 14 qu’il dédie à Alexandre Glazounov. L’opulence et la solennité de cette page d’un peu plus de sept minutes en font une pièce brillante, à la manière d’autres pièces au caractère dynamique et festif que l’on découvre chez maints compositeurs russes. Plus de vingt ans plus tard, en 1928, Kalafati écrit une partition pour chœur et orchestre, en souvenir de Schubert, destinée au concours international lancé par la Columbia Gramophone en commémoration des cent ans de la disparition du Viennois. Parmi le jury, on trouve Glazounov, mais aussi Glière ou Miaskovsky ; sur 42 participants, Kalafati est classé en seconde position. Cette Légende op. 20 utilise des réminiscences de thèmes schubertiens esquissés, dans un style résolument romantique et une orchestration fournie et emphatique, riche en contrastes et embellie par diverses variations qui, une fois encore, s’inscrivent dans la ligne colorée de l’enseignement distillé par Rimsky-Korsakov. Lorsque le chœur sans paroles apparaît, Kalafati laisse la porte ouverte à la diversité des timbres et aux effets éthérés dans un contexte luxueux et magique, qui s’achève par une apothéose mêlée de rêverie.

Voilà un CD intéressant, beau panorama d’une œuvre orchestrale courte mais attachante, qui demeure ancrée dans la tradition du romantisme russe. Le chef Byron Fidetzis, né en 1945 à Thessalonique, a étudié le violoncelle avec André Navarra et la direction avec Hans Swarowsky, Miltiades Caridis et Otmar Suitner. Il s’est voué en grande partie à la mise en valeur de compositeurs grecs (Mantzaros, Lavrangos, Kalomiris, Mitropoulos, Skalkottas, Constantinidis…). Il a été en charge de formations en Russie, en Bulgarie, en Islande, et il est depuis fin 2016 à la tête du Philharmonique d’Athènes fondé à la même époque. Le chef et sa formation jouent ici le jeu de l’engagement et de l’impulsion pour donner à ces pages de Kalafati la dimension imagée qu’elles contiennent. 

Le Chœur du Département de Musique de l’Université d’Athènes, fondé en 1998, a lui aussi participé à de multiples premières mondiales de compositeurs grecs. Il ajoute une dimension mystérieuse à la Légende à la mémoire de Schubert. Un beau CD qui plaira aux amateurs de partitions rares.

Son : 8  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix  

 

 

 

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