Figure Humaine de Francis Poulenc

par


Jouez-moi, lisez-moi mais ne m’interprétez pas.

La demande de Francis Poulenc a été sublimement respectée par le chef Mathieu Romano et le chœur Aedes. Ces intermédiaires entre la musique et nous n’ont pas interféré dans la relation entre le chef d’œuvre La Figure Humaine et l’auditeur. 

Grâce à la perfection de l’exécution des chanteurs et de la direction, nous les avons presque oubliés pour ne plus juger de telle ou telle prise de partie : nous avons écouté le chef d’œuvre de Francis Poulenc et non un ensemble vocal. Il nous a semblé que l’interprétation était exclusivement au service du texte musical et du texte poétique de Paul Eluard. Ainsi, nous n’entendions pas des timbres des voix, des personnalités, mais la musique. Une bonne interprétation ne doit-elle pas justement être celle qui se fait oublier ? Les chanteurs et leur chef de chœur ne nous ont guère imposé leurs propres sentiments avec pathos, nuances extraverties ou rubato, ce qui d’ailleurs déplaisait à Poulenc. Par conséquent, n’ayant point de contraintes à se voir suggérer un quelconque émoi, nous avons ressenti avec profondeur tout au long de cette Figure Humaine, les frissons et les émotions, symptômes d’une interprétation qui fait corps avec l’écriture musicale. 

Nous savons que Poulenc respectait et adorait les poèmes de Paul Eluard. L’ensemble Aedes, grâce à une articulation précise et limpide, nous a permis de savourer ces textes sublimes. Le poème si célèbre, « Liberté » clôt la cantate. Sa technicité, comme le contre-mi final à la voix de soprano, ses harmonies insolites, ses modulations sensationnelles, sa pureté rythmique, nous ont amenés à regretter que l’exécution de l’œuvre soit terminée. Toutes les fins de chacun des mouvements de la cantate finissent par un accord stable. L’harmonie si superbe et étonnante au cours de tous les mouvements, nous promène dans une sorte de flou à travers maintes modulations qui créent une impression étrange lorsque l’accord, résolu à la dernière mesure, apparaît comme une évidence. L’ensemble Aedes a contribué à cet état étonnant en exécutant des nuances tout en subtilité, sans brutalité aucune, tout au long de chaque mouvement. Les envolées et les forte n’ont jamais été enflammés. Il est certain que le raffinement, la subtilité, sont propres à la musique de Poulenc et que ces adjectifs s’appliquèrent à cette incarnation de la cantate. Elle a, grâce à tout ceci, la capacité à amener à l’introspection. S’il n’y avait les textes d’Eluard, on pourrait entendre La Figure Humaine comme une œuvre religieuse. Elle a la capacité certaine d’élever les âmes et elle est sans nul doute, spirituelle : Il n’y a pas dans mon œuvre une chose à laquelle je tienne plus que « Figure humaine ». Ce qu’il y a de plus secret, de plus vrai en moi s’y trouve comme dans ma musique religieuse. Les deux choses auxquelles je tiens le plus sont, voyez-vous, ma foi et ma liberté.  

Le choix d’intercaler à cinq moments, un des interludes pour orgue d’André Jolivet après, chaque fois, deux ou trois mouvements de la cantate, nous a permis étonnement de renouer avec le vide, avec la pureté de l’écriture a capella de La Figure Humaine. Nous avons dégusté, grâce à cette audace, le poids des silences et des respirations dans l’œuvre de Poulenc qui contraste avec la présence dense et soutenue du timbre de l’orgue. Toutefois, en plus de mettre en valeur les espaces dénudés de la cantate, nous avons pu percevoir, grâce aux œuvres pour orgue intercalées, que cette composition pour voix évoquait quelquefois une écriture pour clavier. Dans La menace sous le ciel rouge, l’écriture en contrepoint a accentué cette impression. 

Nous ne savons pas si le plus sublime dans cette œuvre est la beauté de la verticalité, avec cette harmonie si étonnante qui pourtant ne bouscule jamais, ou bien si le plus sublime est l’horizontalité par la pureté et l’évidence de chacune des lignes mélodiques qui ont été humblement et divinement exécutées. 

« Ma musique n’est tout de même pas si mal » disait Poulenc.

Alvina Langlais

Tourcoing, Théâtre Municipal, le 14 janvier 2024

Crédits photographiques : William Beau

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