Franck et Chausson en pleine lumière grâce à Jean-Luc Tingaud

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César Franck (1822-1890) : Symphonie en ré mineur, FWV 48. Ernest Chausson (1855-1899) : Symphonie en si bémol majeur, op. 20. Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, direction : Jean-Luc Tingaud. 2024. Livret en anglais et français. 71’58. Naxos 8.574536.

Il semblerait que le couplage on ne peut plus naturel Franck-Chausson en CD devienne peu à peu la norme en ce qui concerne leurs uniques symphonies respectives : après les versions Francesco d’Avalos et le Philharmonia chez ASV en 1990, Louis Langrée et l’OPRL chez Accord/Universal en 2005, Marek Janowski et l’OSR chez PentaTone en 2006, sans compter un CD live posthume d’Evgueni Svetlanov de la Radio Suédoise chez Weitblick en 2011, voici celles de l’excellent chef d’orchestre français Jean-Luc Tingaud, polytechnicien de première formation et, au CNSMD de Paris, assistant de Manuel Rosenthal qui lui inculque sa passion pour la musique française. Et cette passion se manifeste surtout envers l’opéra français, l’un des principaux centres d’intérêt de Jean-Luc Tingaud, solide formation pour un chef d’orchestre qui l’amène tout naturellement à la musique symphonique française, dont la belle série d’enregistrements chez Naxos d’œuvres souvent peu connues ou peu jouées, comme les albums Massenet ou Franck constitue une preuve éclatante d’affinité.

Merveilleuse et inattendue floraison de chefs-d’œuvre qui, en cinq années seulement (entre 1885 et 1890), révèlent et confirment Camille Saint-Saëns (1835-1921), Édouard Lalo (1823-1892), Vincent d’Indy (1851-1931), César Franck (1822-1890) et Ernest Chausson (1855-1899) pionniers incontestables du renouveau de la symphonie française fin du 19e siècle, forme qui allait engendrer tant de chefs d’œuvre -dont certains scandaleusement méconnus ou négligés- de Magnard, Ropartz, Dukas, Emmanuel, Honegger, Roussel, Schmitt, Sauguet… et la liste est loin d’être exhaustive… Espérons qu’à l’instar de Georges Tzipine (1907-1987) ou Michel Plasson, Jean-Luc Tingaud fera œuvre de foi en nous révélant un patrimoine dont on ne soupçonne pas encore vraiment toute l’ampleur : il est l’homme de la situation !

Si la Symphonie en ré mineur de Franck est à juste titre universellement considérée comme un chef-d’œuvre, son interprétation est particulièrement délicate quant à l’orchestration qui manque parfois de légèreté, caractéristique typique du compositeur-organiste procédant souvent par blocs sonores, par doublures instrumentales, telles la registration d’un orgue, révélant sans doute ainsi ses ascendances germaniques : un chef d’orchestre un tant soit peu superficiel tombera très facilement dans le vulgaire et le clinquant. Par bonheur, Jean-Luc Tingaud est un musicien suffisamment fin et raffiné pour réussir admirablement son but d’équilibrer bois et cuivres dans son interprétation, afin de mettre en évidence la couleur subtile particulière de l’œuvre dans ses nuances, exaltant sa grandeur par une exécution lucide, objective, rigoureuse, refusant tout grossissement mais éclairant les détails et insufflant une exaltante vitalité à son discours, étageant les plans avec un sens aigu de l’architecture sonore. Il est secondé dans sa démarche par les soins attentifs du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin aux qualités musicales exceptionnelles.

Par contre la Symphonie en si bémol majeur d’Ernest Chausson, élève et disciple de Franck, n’a pas cette spécificité et semble ainsi accéder plus naturellement « des ténèbres à la lumière », malgré une écriture plus complexe, plus finement ciselée et aérée, d’influence wagnérienne. C’est peut-être ce qui a incité Jean-Luc Tingaud, qui porte cette œuvre en lui depuis sa prime jeunesse, à forger son interprétation sur base des deux manuscrits de Chausson, plutôt que sur celle de la partition éditée : par sa formation scientifique et un patient travail de comparaison, il a pu corriger une multitude d’erreurs, certaines entraînant des incohérences, notamment de tempos. Pour les mélomanes connaissant l’œuvre dans une interprétation traditionnelle, il sera peu aisé à l’audition de repérer ces corrections, mais elles doivent affecter notamment le timbre des alliages d’instruments. Quoi qu’il en soit, l’exécution de la Symphonie de Chausson est de la même eau que celle de Franck, ce qui rend dans sa totalité le CD des plus désirables et recommandables comme référence.

Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10

Michel Tibbaut

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