Gezi Park 1 de Fazil Say, une découverte !

par

Paul Dukas (1865-1935) : La Péri
Fazil Say (1970) : Gezi Park 1, concerto pour deux pianos et orchestre, op.48
Nikolay Rimsky-Korsakov (1844-1908) Shéhérazade, suite symphonique, op.35

Orchestre Philharmonique Royal de Liège, dir. : Christian Arming, Ferhan et Ferzan Önder (piano)

Programme intelligemment construit et bien mené pour l'OPRL en déplacement ce soir à Bruxelles. Sur le thème de l'Orient, Christian Arming débute la soirée avec La Péri (1911). C'est le récit du Prince Iskander (Alexandre le Grand) à la recherche de la fleur de l'immortalité qui structure ce ballet. La Fanfare initiale est interprétée avec bravoure et précision. Cuivres justes, modelés par la battue précise du directeur musical de l'orchestre. Arming est à l'aise ici, notamment lorsqu'il prend le temps de faire respirer les pupitres. Le Poème qui suit ressemble davantage à l'ambiance de l'Apprenti sorcier, pièce maîtresse du compositeur. L'orchestre saisit à merveille les contours mélodiques et les accents surprenants. Bon tempo et compréhension de l’œuvre. Excellente atmosphère même si certains passages nous semblent trop puissants. Grande découverte ce soir avec Gezi Park 1 de Fazil Say. Né en 1970, le pianiste turc joue sur toutes les scènes mondiales. En tant que compositeur ce soir, c'est son concerto pour deux pianos qui est exécuté par l'OPRL et les deux sœurs Önder, dédicataires de l’œuvre. Composée en 2013, cette œuvre tire son histoire du contexte politique de la Turquie lors des protestations de mai et juin 2013. Say, que la justice de son pays a réduit au silence lors d'un procès pour atteintes aux valeurs religieuses, écrit son œuvre sur l'image du parc Gezi à Istanbul, lieu principal des contestations. Très justement, Jean-Pierre Rousseau y trouve des allusions à West Side Story ou On the Waterfront : allures jazz, rythmiques et évocatrices de la vie de la rue. Les trois mouvements évoquent trois moments du 30 au 31 mai 2013. Evening est charmant, perlé par deux beaux pianos. Atmosphère chaude et suave, caractéristique de l'ambiance de cette région. Les pianos se marient très naturellement à la texture de l'orchestre avant une partie beaucoup plus rythmique. Partie presque solo des percussions, dynamiques et puissantes ici. L'imitation de la pluie, du vent et du climat en général est impressionnante. Police Raid termine l’œuvre avec force et énervement. Si les pianos ne dominent à aucun moment, le final leur offre un long dialogue. La nuit se termine dans le noir (effet assuré par l’éclairage) avec douceur dans une atmosphère énigmatique. La prestation tant des sœurs que de l'orchestre est excellente avec une attention particulière aux percussions.
Lecture plus approximative de Shéhérazade en seconde partie. La célèbre suite symphonique de Rimsky-Korsakov mit du temps à se construire dans la salle Henry le Bœuf. Justesse pas toujours parfaite des vents tandis que les départs, notamment des cordes pour le troisième mouvement, ne sont pas toujours clairs. Un cran métronomique au-dessus aurait été souhaitable car les intentions musicales et les idées ne manquent pas. Il demeure évident que depuis l'arrivée de Christian Arming, l'orchestre a réellement évolué, confirmant notre sentiment lors du déplacement à Lille. Le premier mouvement, La mer et le bateau de Sinbad reste néanmoins envoûtant avec ce thème si célèbre. Mouvement rudement bien mené avec une palette plus douce après l'introduction, laissant de la place pour les crescendi. Côté tempo, Arming est souvent devant l'orchestre et tente visiblement d'avancer. Battue souple et musicale. Beau Récit du prince Kalender aux allures populaires très libres ici. Très bon solo de basson dans un tempo juste. Sans doute le meilleur mouvement ce soir, il est dansant, naturel et expressif. Solo professionnel et délicat du concertmeister de plus en plus à l'aise au fil de la suite. La partie du Jeune Prince et de la Princesse (troisième mouvement) est en-deçà du niveau général. Les départs des cordes sont rarement parfaits et le tempo général n'avance pas assez, malgré une pâte sonore excellente. La mer et le Naufrage du bateau sur les rochers concluent la soirée avec brio. L'énergie requise pour cette suite se trouve naturellement dans ce dernier mouvement où Arming semble beaucoup plus dynamique et précis. Beaux contrastes entre les tutti et solos de vents et/ou cordes.
Soirée honorable pour l'OPRL donc, qui continue de proposer des programmes de qualité, accessibles à tous, sous la baguette d'un chef musical est inspiré.
Ayrton Desimpelaere
Bozar, le 13 février 2014

 

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