Herman Krebbers, diamant violonistique 

par

Herman Krebbers Edition. Herman Krebers, violon.  Solistes, orchestres et chefs divers.  1952-1979. Livret en anglais 14 CD Decca Eloquence.  484 4651.

Pour les mélomanes exigeants, le nom d’Herman Krebbers est associé à ses enregistrements en tant que konzertmeister de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam avec, au sommet, son solo de violon extraordinaire dans la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov sous la direction incandescente de Kirill Kondrashin en 1979. Cet album, édité alors par Philips, reste l’un des piliers de l'histoire du disque. Mais cette fonction, comme souvent, occulte le talent de virtuose de ses titulaires en limitant drastiquement leur possibilité de faire une grande carrière internationale. Herman Krebbers fut sans aucun doute victime de cet état de fait et sa notoriété peine à dépasser les frontières des Pays-Bas. Le musicien en était pleinement conscient et la notice de présentation (excellente comme toujours avec Decca Eloquence) nous énonce qu’il avait fait de choix de carrière, préférant être à proximité de sa famille, car une vie de soliste nomade et solitaire, toujours en voyage ne lui convenait pas. 

Revenons sur sa biographie : né à Hengelo aux Pays-Bas, Herman Krebbers (1923-2018) a étudié à Amsterdam avec le Viennois de naissance Oskar Back, lui-même élève d’Eugène Ysaÿe à Bruxelles et qui s’imposa comme le grand professeur de violon de la première moitié du XXe siècle aux Pays-Bas et en Belgique.    

Enfant prodige, le jeune homme se produit en tournée en Europe et en Amérique à partir de neuf ans. En 1943, il fait ses débuts avec l’Orchestre du Concertgebouw. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est  membre de la Nederlandse Kultuurkamer, sous le contrôle de l’occupant allemand. A la Libération, il est interdit de scène pendant 2 ans. En 1950, il devient co-violon solo de l’Orchestre de la Résidence de la Haye (Residentie Orkest). Bien oublié aujourd’hui, cet orchestre était alors une phalange d’élite que le label Philips, également néerlandais, avait choisi pour enregistrer et constituer un catalogue de haut vol. Herman Krebbers partage alors le fauteuil avec son confrère et ami d’enfance Theo Olof. En 1962, Herman Krebbers est promu violon-solo de l’Orchestre du Royal Concertgebouw d’Amsterdam, bientôt rejoint par Theo Olof avec lequel il partage encore la même fonction. Jusqu’en 1979, le musicien se produit près de 131 fois en soliste avec son orchestre, y compris dans les grands concertos du répertoire. En 1979, suite à une blessure domestique, il démissionne de son poste se concentrant sur l’enseignement et il se forge alors une réputation internationale pour les cours qu’il donne au Conservatoire Sweelinck à Amsterdam et à l’Institut Robert Schumann de Düsseldorf où on compte, parmi ses élèves, Frank Peter Zimmermann, Szymon Krzeszowiec et même André Rieu. Il donne des masterclasses à travers le monde et participe à des jurys de prestigieux concours.  

Le présent coffret reprend ses enregistrements pour le label Philips dont Decca Eloquence reproduit fidèlement les couvertures originales. Le programme de ce coffret est très majoritairement composé d’enregistrements de concertos tant avec l’Orchestre de la Résidence de la Haye qu’avec le Concertgebouw, auxquels s'adjoignent des orchestres hollandais : le Philharmonique de la Radio, le Frysk Orkest,  l’Orchestre du Brabant, l’Orchestre de chambre des Pays-Bas, le Philharmonique d’Amsterdam et les Wiener Symphoniker, seul orchestre non néerlandais de la boîte. 

Ce qui frappe avec Herman Krebbers c’est son évolution stylistique et artistique. Jeune fringuant virtuose, il grave, en 1952, un Double concerto de Bach avec Theo Olof. Si la musicalité est franche, le style est peu daté. Changement complet de ton avec les Concertos n°2 et n°4 de Mozart avec David Zinman au pupitre de l’Orchestre de chambre des Pays-bas, en 1975. La sonorité est vive et le style est frais. Herman Krebbers s’est nourri des évolutions interprétatives dont les Pays-Bas furent l’un des moteurs. Autre élément intéressant : le répertoire. Bien évidemment, on retrouve les classiques du genre : Beethoven, Bruch, Brahms, Paganini  mais aussi Dvořák, le Concerto n°4 de Vieuxtemps et une création du Néerlandais Henk Badings.  

Au niveau du style, on apprécie, outre la sûreté de la technique, une approche fine et élégante, anti-spectaculaire, même si parfois un peu sèche (plutôt dans les enregistrements les plus anciens). On ne sera pas étonné de l’entente avec Bernard Haitink dans des concertos de Beethoven et de Brahms à la beauté apollinienne d’un grand style. Notons que le coffret propose également deux autres versions de ces concertos et, pour l'anecdote, qu’à l’occasion de l’enregistrement de la première version du concerto de Beethoven avec Willem Van Otterloo à La Haye, les ingénieurs de Philips avaient demandé au violoniste d'accélérer la cadence afin que la durée totale de l’enregistrement ne dépasse pas le nombre de faces de LP envisagé !  Autres grands moments  : le Concerto n°4 de Vieuxtemps qui revêt d’une élégance insoupçonnée alors que  le Concerto de Dvořák brille dans une lumière tamisée. Enfin, saluons des lectures magnifiquement fluides et d’une grande musicalité de pièces de Saint-Saens (Havanaise et Introduction et Rondo capriccioso) avec Bernard Haitink et Ravel (Tzigane) avec Kirill Kondrashin.  

Côté musique de chambre : d’excellents et racés duos de Béla Bartók avec Theo Olof et un album Mozart comprenant des œuvres avec hautbois, Krebbers est dans l'équipe de cordes qui tisse un fabuleux écrin au musicien. 

En soliste de l’orchestre, outre la Shéhérazade mentionnée en début d’article, on retrouve des Strauss de haute tenue : Ainsi parlait Zarathoustra et La Vie de Héros avec ses redoutables solos de violon. 

En conclusion, un portrait passionnant d’un musicien sincère et attachant, un grand styliste du jeu avec un son à la fois brillant et lumineux. Une belle réalisation pour les amoureux de l’instrument. 

Note globale : 9  

Pierre-Jean Tribot

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