Ils se sont tous bien amusés : Falstaff à Liège

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Oui, ils se sont bien amusés, tous ceux qui ont conçu ce Falstaff qui nous a tant amusés nous aussi !

Voilà un compositeur qui aura bientôt 80 ans, mais qui s’estime encore, je le cite, « plein de sève et de joie de vivre ». Giuseppe Verdi a connu les plus grands succès avec des œuvres tragiques, il rêve à présent d’un livret comique. Et pourquoi pas un Shakespeare, cet auteur qu’il affectionne tant, que sa musique a exalté dans ses Macbeth et Otello -il y avait encore le désir, qui ne sera jamais assouvi, d’un « Roi Lear ».

Mais pour concrétiser ce rêve, il faut un livret : Arrigo Boito va puiser son inspiration dans deux pièces de Shakespeare : « Henri IV » et « Les Joyeuses Commères de Windsor ». Il en réalise une adaptation magistrale, il en fait une œuvre unique focalisée sur le « pancione », le pansu. Une farce subtile dans sa progression et ses tonalités : oui, « le gros », caché dans un panier à linge, est jeté dans les eaux boueuses de la Tamise, mais ce « gros » a de jolis états d’âme existentiels.

Falstaff est donc l’heureuse conclusion d’un long parcours. Oui, Verdi a réussi ce que Boito lui proposait : « Après avoir brisé tous les cris et les gémissements du cœur humain, [finir] avec un énorme éclat de rire ». Oui, Verdi et Boito se sont bien amusés.

Voilà qu’après tant d’autres, Jacopo Spirei décide de mettre en scène l’histoire de ce personnage énoooooorme qui, se croyant rusé, se retrouve dupé par celles dont il prétendait obtenir les faveurs et l’argent. Tel est pris qui croyait prendre, rira bien qui rira le dernier.

Sa mise en scène est respectueusement inventive, immédiatement lisible, sans arrière-pensées « significatives » politico-sociologico-psychologico-historico-psychanalytiques encombrantes. Il s’agit, avec Verdi et Boito, de rire et de bien rire avec et de Falstaff. La scénographie (décors de Nikolaus Webern, costumes de Sylvia Aymonino, lumières de Fiammetta Baldiserri) enchaîne les lieux et les circonstances en un réalisme savoureusement décalé : le sol de la taverne s’effondre quand Falstaff se laisse tomber sur sa chaise, les maisons autour de la place sont de guingois, certaines se soulèvent pour faire apparaître les arbustes-forêt du dernier acte. Les solistes sont judicieusement mis en espace. Une simplicité d’apparence qui laisse toute sa place au chant ! Jacopo Spirei s’est bien amusé.

Ce chant libéré, les solistes l’assument au mieux. Saluons la performance de Pietro Spagnoli qui, maîtrisant la démesure scénique de son Falstaff, le magnifie dans ses airs aux tonalités multiples : triomphant, abattu, péremptoire, sentencieux, drôle, pathétique, humain. Ses partenaires ne ratent pas les superbes occasions vocales de leurs rôles. C’est parfois linéaire, c’est parfois virtuose, c’est rigolo, c’est émouvant, c’est vengeur : Carolina Lopez-Moreno-Mrs Alice Ford, Marianna Pizzolato-Mistress Quickly, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur-Mrs Meg Page, Simone Piazzola-Ford, Francesca Benitez-Nannetta, Giulio Pelligra-Fenton, Patrick Bolleire-Pistoia, Pierre Derhet-Bardolfo et Alexander Marev-Caïus. Ils s’amusent bien.

Quant à la partition, elle est un bonheur d’orchestration, un catalogue d’auto-citations savoureuses, un jeu de décalages souriants. Comme on a pu l’écrire, « elle multiplie clins d’œil insolents, allusions pétillantes, commentaires goguenards, se faisant impalpable et féerique dans sa dernière partie ». Avec même, en conclusion de cette joyeuse farce… une fugue à la Bach ! Giampaolo Bisanti, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Wallonie-Liège, en rend un compte exact. Lui et eux s’amusent bien.

Et nous aussi, le public, nous nous amusons bien et le faisons savoir dans nos applaudissements nourris.

Liège, Opéra de Wallonie-Liège, le 3 mars 2024

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : ORW/J.Berger

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