Kent Nagano et l’Orchestre symphonique Montréal

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C’est l’un des grands événements de la saison bruxelloise : la venue, dans le cadre du Klara Festival, de l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de son directeur musical Kent Nagano. En prélude à ce concert, Crescendo Magazine s’entretient avec l’un des maestros les plus engagés dans son époque, un musicien qui refuse les facilités et qui s’investit comme rarement dans son art et dans sa dimension sociale, portant la musique partout où elle doit avoir sa place.

Vous allez jouer dans la salle Henry Leboeuf du Palais des Beaux-Arts dans laquelle vous êtes déjà venu à de nombreuses reprises, mais jamais avec l’OSM. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Je connais bien cette salle et je la considère comme l’une des meilleures au monde. Le répertoire que nous proposerons pour ce concert sera parfaitement adapté à cette merveilleuse acoustique. Nous sommes impatients de pouvoir jouer pour le public belge.

Vous allez vous produire avec la contralto Marie-Nicole Lemieux que l’on connaît bien en Belgique depuis son triomphe au concours Reine Elisabeth 2000. Est-ce que présenter l’OSM avec une artiste canadienne est une priorité pour vous ?  

La première priorité c’est la qualité, autant quand on joue à domicile qu’en tournée. Il se trouve que l’on connaît très bien Marie-Nicole. Dans un certain sens, elle a grandi avec l’OSM car elle chante avec nous depuis ses débuts et elle continue de se produire régulièrement à nos côtés. Nous avons eu le grand plaisir d’observer son affirmation comme l’une des grandes contraltos de notre époque.

Le programme que vous avez élaboré pour cette étape bruxelloise me semble synthétiser votre activité de chef : Berlioz et Wagner pour le côté lyrique ainsi que Debussy et Stravinsky pour la défense des modernités musicales, aspect qui vous est cher. Est-ce que je me trompe ?

Nous avons aussi établi une symbolique vis à vis de Paris car tous ces compositeurs sont aussi liés à cette capitale. Mais sinon, vous avez raison ! Il y aura Jeux de Claude Debussy qui est une ouverture à la modernité ; Petrouchka de Stravinsky pour l’explosion de créativité et le côté révolutionnaire de Berlioz et Wagner.

Vous êtes directeur musical de l’OSM depuis 2006. Ce qui fait 13 ans ! Au regard de la durée moyenne des mandats actuels des chefs d’orchestre (en moyenne 5 ou 6 ans), c’est une durée plutôt longue. Quel bilan tirez-vous ce parcours ?

Avec mes collègues musiciens, l’administration de l’orchestre et une grande partie de la communauté de Montréal, nous avons accompli 3 projets qui vont vraiment durer ! Il y a en premier lieu notre nouvelle salle de concert, désormais établie comme l’une des plus grandes salles au monde. Cette salle a été conçue avec la priorité de servir la musique classique et non d’être une salle multifonctions. De plus, elle a été construite pour la musique symphonique ! Deuxièmement : nous avons aussi commandé et mis en chantier l’un des plus importants orgues modernes. Troisièmement : nous avons créé le choeur de l’OSM. Ce sont les trois grands projets structurants et amenés à perdurer pour l’avenir de l’OSM. Mais l’élément le plus remarquable est le rajeunissement majeur de notre public. Au début de ma collaboration avec l’OSM, nous avions un public plutôt âgé ; actuellement nous avons, selon plusieurs statistiques, l’un des plus jeunes publics au monde ! Nous n’avons pas perdu notre public le plus âgé, mais ce mélange des générations est quelque chose dont l’OSM peut être fier. C’est l’un des symboles de notre santé ! Cela reflète tous nos efforts depuis plusieurs années.

Ces réussites sont admirables, pouvez-vous nous dire quels sont vos secrets pour faire fructifier un tel investissement de travail sur le long terme ?

Un orchestre est une micro-société, comme une métaphore ; toutes les catégories d’âge sont représentées et tous s’investissent dans la musique et vous savez que les relations humaines peuvent parfois atteindre un niveau exceptionnel. Comme tous les orchestres professionnels, l’OSM est capable de travailler très rapidement et efficacement ; cependant ce n’est pas notre horizon, il nous faut aller plus loin. Nous venons de terminer un cycle Brahms qui s’appelait la 7e dimension ! Nous étions dans une forme d’accomplissement qui s’installe quand une relation a eu le temps de mûrir. Une collaboration avec un groupe qui fonctionne harmonieusement dans une dimension artistique, cela ne vient pas tous les jours ! C’est donc très important d’apprécier chaque moment.

Vous avez récemment mené une tournée avec l’OSM dans le nord de Québec pour porter la musique dans des zones isolées. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

C’était la deuxième tournée dans le Grand Nord, comme nous appelons les territoires les plus nordiques du Québec. Cette province est très grande ! Au sud, elle est frontalière avec les Etats-Unis et au Nord, elle touche le cercle polaire. En 2007, nous avions mené une tournée historique à de nombreux points de vue. C’était la première fois qu’un orchestre symphonique voyageait dans le Grand Nord. J’étais avec un orchestre de chambre et ce fut un échange inoubliable. Figurez-vous que certaines personnes n’avaient jamais vu un violon ou un trombone. L’excitation des enfants quand nous visitions les classes était indescriptible et inoubliable ! En 2018, le contexte a changé car le gouvernement canadien est très proactif à l’égard des populations originelles du Canada. C’est dans ce contexte que nous avons fait cette nouvelle tournée. Elle était plus longue et nous avons visité plus de communautés tout en revenant là où nous étions allés en 2007. L’une des conséquences du réchauffement climatique est de rendre possible une tournée de concerts avec un effectif orchestral plus grand et nous avons donc pu avoir encore plus d’interactions avec les communautés. Ces dernières nous ont ouvert leurs salles, mais aussi leurs maisons. Ce fut encore une expérience magique, une expérience qui vous change comme artiste et comme personne car nous avons plus reçus de la part des communautés que ce que nous avons donné en tant que musiciens. C’était un échange et un dialogue absolument fabuleux.

Vous êtes un musicien très investi dans des actions qui visent à porter la musique auprès de tous les publics. En quoi cette action de diffusion est-elle importante pour vous ?

C’est l’une de mes préoccupations, que je partage avec les musiciens. Rien n’est plus faux que de considérer la musique classique comme élitiste et réservée à un public qui serait lui- même une élite diplômée. Si l’on revient au sens même de la musique classique, tel que le concept est apparu avec le Siècle des Lumières, elle est anti-élitiste ! La musique classique quittait alors les Cours royales et les églises pour s’offrir à un nouveau public ! Il est important pour nous d’aller porter la musique et de casser les murs symboliques. Nous ne pouvons pas nous contenter de rester dans nos jolies salles de concerts ou maisons d’opéras, si belles soient-elles ! Une partie de la population ne vient pas ou ne peut pas venir à nous, c’est à nous d’aller à eux !

Crédits photographiques : Sergio Veranes Studio

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Le site de Kent Nagano : http://kentnagano.com/

Le site de l’Orchestre symphonique de Montréal : www.osm.ca

Kent Nagano sera en concert à Bozar le 20 mars prochain.

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