La musique chorale de Ramon Humet : la sérénité assumée

par

Ramon Humet (°1968) : Llum (Lumière). Chœurs de la Radio lettonne, direction Sigvards Kļava. 2020. Notice en anglais. Textes des poèmes, avec traduction anglaise. 50.26. Ondine ODE 1389-2.

Si vous êtes en recherche de quiétude, quelle qu’en soit la raison, pandémie comprise, cet album du Catalan Ramon Humet est fait pour vous ! Originaire de Barcelone, ce compositeur passionné par la nature et par le zen, l’est aussi par la flûte japonaise d’origine chinoise, le shakuhachi, qu’il pratique. Humet a étudié la composition dans sa ville natale avec Josep Soler qui, dans les années soixante du siècle dernier, avait pris des conseils à Paris auprès de René Leibowitz, et le piano avec Miguel Farré Mallofré, qui fut aussi un grand maître dans le domaine des échecs. Sa rencontre avec le compositeur britannique Jonathan Harvey (1939-2012), a été décisive. Influencé par Olivier Messiaen, Tristan Murail, Gérard Grisay ou Karl-Heinz Stockhausen, auquel il a consacré des textes, Harvey avait été marqué par la lecture de textes mystiques de diverses sources religieuses. Cette tendance à s’inspirer de la méditation et de la profondeur spirituelle se retrouve chez Ramon Humet, qui enseigne au Conservatoire Supérieur Liceu de Barcelone depuis 2009 et dont le catalogue dévoile des pages orchestrales et concertantes, des pièces pour instrument seul (piano, marimba, shakuhachi…), des œuvres vocales, de la musique de chambre et aussi de la musique électroacoustique. On a pu apprécier des pages de musique de chambre parues sous les labels La Mà de Guido ou Neu Records, dans ce dernier cas avec le London Sinfonietta dirigé par Nicholas Collon. Cette fois, c’est une production Ondine qui propose un voyage intérieur vers le silence qui est en chacun de nous, vers la paix, le mystère et l’amour. 

Llum (Lumière) est une vaste partition chorale destinée à un chœur mixte, des voix de femmes, un double chœur et des interventions solistes complémentaires. Cette fresque en sept parties est chantée a cappella, sauf dans la sixième où les plaques métalliques du crotale et un carillon à barres viennent s’ajouter délicatement à l’ambiance. Comme l’explique Ramon Humet lui-même dans la notice qu’il signe (elle date d’avril 2016, moment de la fin d’une écriture entamée en 2013) et dont nous suivons le contenu, les poèmes qui accompagnent chaque plage de ce périple intime ont été écrits par un ami du compositeur, VIcenç Santamaria, un moine du monastère bénédictin de Santa Maria de Montserrat. Chaque étape est dédiée musicalement à une personne qui a compté dans le parcours de Ramon Humet, membres de la famille, amis ou professeur de yoga. Le décor est planté dès Tanca els ulls (Fermez vos yeux) qui ouvre le cycle dans une atmosphère placide et reconnaissante pour le jour qui arrive. Une soprano entame une mélodie à partir d’une seule note dont les changements progressifs évoluent au coeur des harmonies chorales. La sérénité est installée, avec persistance : la fascination va devenir de plus en plus hypnotique au fil du temps. La passacaille mystique qui suit, Camina endins (Marche intérieure), basée sur une séquence de cinq accords, se développe dans de lents registres vocaux très évocateurs et une allusion allégorique à une personne qui se promènerait à l’intérieur de son propre silence, dans un climat de tendresse, comme un enfant qui aurait confiance en Dieu. L’intemporel rejoint ici le principe de vie dans sa pureté initiale.

Dans cet univers de calme placide, Baixa al cim de l’Ànima (Descente vers le sommet de l’âme), laisse deux altos interagir avec le chœur, dans une atmosphère intense d’intimité spirituelle. Pedra nua (Pierre nue) se décline en notes complexes qui créent une sensation d’éparpillement, comme le suggèrent la froideur de la matière désignée et les aspects disparates de la vie, voix entrelacées sur trois vers qui incitent, encore et toujours, au silence auquel ils aboutissent. Dans Pau al Cor (La paix du cœur), l’ouverture sur l’infini se précise à nouveau : chaque être, par ce même silence intérieur, jette une passerelle vers un monde où tout est possible. La soprano, dont la voix émerge du chœur, nous fait penser à la dimension métaphysique du « pont lancé sur le vide » dont a parlé un jour le poète belge Norge (1898-1990) dans son recueil de 1941 Joie aux âmes (Poème de la possession). Dans le sixième texte, Engrunes de Llum (Miettes lumineuses), l’accentuation du mystère, partout présent, à l’intérieur de nous et en chaque chose, est renforcée jusqu’à l’extase par des voix lentes qui gagnent en densité dans une atmosphère irréelle entretenue par crotale et carillon à barres et que rejoignent une soprano, deux altos et un baryton. 

Les mots du moine catalan de Montserrat sont d’un mysticisme éthéré, marqué par une foi profonde qui trouve sa source dans la joie, la reconnaissance et la certitude de la beauté du silence intime, et sans doute, dans le chef de ce poète, de la contemplation vécue. On y ajoutera aussi la confiance et l’amour qui exulte. L’expérience, que l’on pourrait tout autant qualifier de philosophique, est riche d’universalité et va au-delà de l’aspect religieux pour rejoindre une dimension absolue de l’Amour, exprimée dans le dernier mouvement, un Alleluia, qui n’est en rien une grandiose apothéose mais s’inspire du plain-chant d’anonymes orthodoxes du XVIIIe siècle. Cet Alleluia couronne la dynamique pacifique de la partition par des temps de pause entre les mots et par la répétition de quatre accords lancés par les parties de ténors et de basses. Comme l’écrit Ramon Humet, l’écoute profonde du monde intérieur de chacun peut répondre à la joie que procurent les dons de la Musique et de la Vie.  

Les Chœurs de la Radio lettonne, qui ont déjà gravé pour le label Ondine une version fervente des peu fréquentés Motets latins d’Anton Bruckner, apporte à cette œuvre hors du temps et de l’espace un climat de dévotion d’une absolue beauté. Sous la direction de Sigvards Kļava qui est son directeur musical depuis 1992, ce collectif a acquis une réputation internationale dont il confirme ici le bien-fondé. Il est le transmetteur idéal d’une partition qui, dans notre monde si perturbé, apporte une plage de paix particulièrement salutaire.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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