La musique « industrielle » d’Adam Wesolowski

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Adam WESOLOWSKI (1980) : « Industrially » : Euphory Concerto, pour euphonium et cordes ; Silver Concerto, pour clavecin et cordes ; Encore Concerto, pour flûte et cordes ; Industrial Sinfonia, pour cordes et multimedia. Steven Mead, euphonium ; Aleksandra Gajecka Antosiewicz, clavecin ; Lukasz Dlugosz, flûte ; Orchestre de chambre de Silésie, direction Robert Kabara ; AUKSO Orchestre de chambre de Tichy, direction : Marek Mos. 2020. Livret en polonais et en anglais. 68.03. Dux 1659.

Le label Dux poursuit sa contribution à une vaste connaissance de la musique polonaise. Cette fois, c’est un créateur de notre temps, Adam Wesolowski, né en 1980 à Ruda Slaska, ville industrielle de la Haute-Silésie, qui est mis en évidence à travers quatre partitions. L’intitulé même du programme : « Industrially », sans autre indication sur la couverture de la pochette, intrigue au prime abord. On pense qu’il est en partie lié à sa cité natale dont la spécialité est l’extraction de minéraux. Mais la découverte approfondie du contenu du CD montre que l’inspiration du musicien dépasse le cadre local. 

Adam Wesolowski effectue ses études à l’Académie Musicale Karol Szymanowsky de Katowice, où il apprend le piano et la composition. Il se lance dans la création dès ses dix-neuf ans ; aujourd’hui, son catalogue compte une cinquantaine d’opus, dont trois symphonies. Il a dirigé des formations orchestrales, notamment l’AUKSO Young Philharmonic, la Sinfonietta Cracovia et l’Orchestre de chambre de Tichy. Il est lauréat de plusieurs concours de composition, dont le premier prix du Concours International Antonin Dvorak. Actif dans la vie musicale polonaise, il dirige le Festival de Gorczycki en Silésie, voué à une meilleure connaissance de la musique polonaise.

Ce CD Dux invite à la découverte de quatre facettes du talent de Wesolowski ; il s’agit de compositions récentes (2018 et 2019). La première, l’Euphory Concerto est destiné à l’euphonium et aux cordes. C’est une commande d’un spécialiste de l’instrument, l’Anglais Steven Mead, né en 1962, qui a œuvré pour donner des lettres de noblesse à ce tuba basse employé souvent dans les harmonies, fanfares et brass bands, mais que l’on entend dans des partitions de Mahler, Richard Strauss ou Holst, ainsi que dans le Bydlo des Tableaux d’une Exposition de Moussorgsky, dans l’orchestration de Ravel. En trois brefs mouvements, Wesolowski souligne tour à tour le lyrisme chaleureux et séducteur, les rythmes parfois espiègles, accompagnés de coups donnés sur l’embouchure de l’instrument et d’interventions vocales, et enfin, les contrastes gonflés de virtuosité de l’euphonium, dans un langage musical clair et accessible. Le dédicataire, Steven Mead, confirme sa grande maîtrise et son sens du déploiement de la mélodie. Un moment de plaisir démonstratif.

On entre une première fois dans la sphère « industrielle » avec le Silver Concerto, partition en quatre mouvements pour clavecin et cordes. Viennent s’y ajouter des sons multimédias de l’ancienne mine d’argent de Tarnowskie Gory -classée au patrimoine de l’UNESCO. Exploitée du XVe au XXe siècle, cette mine, où l’on trouve aussi du plomb et du zinc, est un site touristique très fréquenté près de Katowice, en Silésie, dans le Sud de la Pologne. Il est possible d’en visiter une section de près de deux kilomètres, avec un parcours en bateau. Ici, les sons musicaux et ceux enregistrés dans la mine sont couplés ; leur partage est un enchevêtrement de réalité industrielle et de cordes que le clavecin prolonge de sa palette mystérieuse, avec des teintes cristallines. Cette atmosphère enchantée qui conviendrait bien à la vision d’un documentaire sur les lieux (ceci dit à titre non péjoratif) évoque en quelque sorte les entrailles de la terre. Wesolowski a placé une intention dans chacun des quatre mouvements : le symbole de l’argent, une allusion historique au XVIe siècle lorsque la cité reçoit ses propres lois, la reconnaissance par l’UNESCO en 2017 et, en apothéose, un hommage aux mineurs qui ont travaillé là, avec évocation de bruits de pas et de mains ou d’outils dans l’exercice de leur tâche. Tout aussi accessible que l’Euphory Concerto, cette page contient maints passages envoûtants. Le clavecin est joué par Alexandra Gajecka Antosiewicz, élève d’Elzbieta Chojnacka. 

Encore Concerto est une partition pour flûte et cordes en cinq mouvements dont l’ordre est indéterminé, le compositeur ayant laissé à l’interprète le choix de l’organisation des pages ainsi que de leur nombre. Ici, pas d’allusion industrielle mais une démonstration des possibilités techniques de l’instrument à travers des mélodies tour à tour virtuoses, chantantes, fougueuses, détendues, pleines d’humour ou de passion. Weselowski offre au flûtiste, en l’occurrence Lukasz Duglosz, un ensemble de paysages dissemblables, aux couleurs chatoyantes ou discrètes, avec des répétitions en staccato, des cantilènes harmonieuses, des effets sonores ou de l’intensité poétique. Les solistes des trois concertos sont accompagnés avec brio par l’Orchestre de chambre de Silésie mené par Robert Kabara, qui a une formation de violoniste et a fait ses débuts de chef sous la férule de Jerzy Maksymiuk. C’est lui qui est à l’origine de la Sinfonietta Cracovia qu’a dirigée Weselowski, avec lequel il entretient des liens amicaux.

Retour au monde de l’industrie avec l’Industrial Symphony pour cordes et multimédias, écrite pour commémorer le 150e anniversaire de la ville de Chorzow (Silésie) composée de quartiers à l’histoire distincte, dont certains remontent au Moyen Age. Ici les cordes sont combinées avec des sons d’équipements industriels, particulièrement ceux de l’usine de charpentes métalliques Koscziuszko. Cette page en un seul élan de quinze minutes décrit l’atmosphère de l’usine de manière réaliste, entre tradition et modernité, en mettant l’accent sur l’activité des machines par le biais des cordes très virtuoses et très dynamiques ou par d’astucieuses évocations sonores, parfois grinçantes. C’est un hommage aussi bien à l’activité industrielle qu’aux travailleurs qui la font vivre. Comme dans les autres pages de ce CD insolite, l’auditeur est plongé dans un univers auquel il adhère aisément car Weselowski ne sombre jamais dans un modernisme abstrait. Sa musique est en phase avec la réalité et avec la nature de cette Pologne dont la création musicale n’a pas fini de nous montrer ses divers visages.

Ce disque n’a sans doute rien de révolutionnaire. En mettant en musique le monde de l’industrie, Wesolowski n’atteint pas, par exemple, l’impact apocalyptique des brèves Fonderies d’acier de Mossolov (surtout quand c’est Svetlanov qui dirige). Mais les œuvres sont agréables à l’audition, mettent bien en valeur les instruments solistes et plairont à un public qui craint le modernisme, ici mesuré. 

Nous regrettons toutefois un choix dans la présentation du livret : la longue traduction anglaise du texte polonais est imprimée en lettres jaunes sur fond blanc et quasi illisible. Des pages musicales inédites méritent un accès documentaire plus aisé.

Son : 9  Livret : 5  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

  

 

 

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