L’Accademia Bizantina, intense et généreuse dans les Concerti Grossi de Haendel

par

The Exciting Sound of Baroque Music. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Six Concerti grossi Op. 3 HWV 312-317. Douze Concerti grossi Op. 6 HWV 319-330. Ottavio Dantone, clavecin, direction. Accademia Bizantina Orchestra. Livret en italien, anglais. Janvier, juillet 2020. Coffret de quatre CDs : 55’47, 45’29, 61’00, 54’08. HDB Sonus HDB-AB-ST-002

Hors des sentiers battus, le label a mis les petits plats dans les grands pour nous offrir cette luxueuse présentation : un oblong et épais coffret rigide, fermé par aimantation, contient deux digipacks et une brochure de 128 pages, abondamment illustrée. Outre une note d'intention, et une explicitation du projet de vulgarisation inter-artistique « The exciting sound of Baroque music » qui s’affiche fièrement sur la couverture, ce petit livre prodigue des développements sur John Walsh (l'éditeur de Haendel), sur la nomenclature de l'orchestre d'époque, sur les deux lieux d'enregistrement (Teatro Goldoni, et église San Girolamo de Bagnacavallo), et bien sûr au sujet des œuvres elles-mêmes. En l'occurrence, les deux fondamentaux recueils de Concerti grossi.

L'opus 3 est une opportuniste compilation puisée à des œuvres antérieures, publiée en 1734 sans se prévaloir de l'autorisation du compositeur, engendrant maladresse et incongruités. Le problème « se pose alors d'adhérer à la source originale, même si elle est parfois très éloignée de l'esthétique de l'auteur, ou d'essayer de restaurer la dignité créative, sur la base d’une connaissance stylistique et technique » interroge la notice. C'est cette deuxième option qui a été choisie pour cet enregistrement, avec « l'espoir intime que l’auteur lui-même aurait procédé aux corrections nécessaires s’il en avait eu l'opportunité ». Dans le détail, on n'en saura pas davantage sur cette édition critique guidée par Bernardo Ticci, –et les pages afférentes (102-107) consacrées à l'autre œuvre du programme ne sont guère plus informatives. La fusion du style français avec le style italien, coulé dans un creuset personnel où les mouvements d'influence corellienne côtoient des menuet, musette, gavotte, et autre gigue, apparaît sous une diversité de forme et de langage, comme un condensé de l'art orchestral du Caro Sassone.

Au sein d'une discographie qui connut tant de réussites majeures depuis les années 1980-90 (pour s'en tenir aux versions sur instruments anciens, John Eliot Gardiner, Nikolaus Harnoncourt, Trevor Pinnock, Jeanne Lamon et sa Tafelmusik, Mark Minkowski et ses Musiciens du Louvre...), ce serait aventureux de proclamer que l'Accademia Bizantina fait souffler un vent inouï sur ces deux recueils. Mais il lui insuffle une ardeur nouvelle, assurément. Avec Il Giardino Armonico pour L'Oiseau Lyre en 2008, Giovanni Antonini osait une singulière vision de l’opus 6, sculptée dans des phrasés autoritaires (voire arbitraires) et de vigoureux contrastes. Menée du clavecin par son compatriote, l'approche d'Ottavio Dantone se montre moins clivante, plus syncrétique, mais non moins stimulante pour les deux recueils. Parmi les excentricités éventuellement contestables, même si elle garantissent un certain relief à l'écoute, on notera le recours aux cordes pincées (archiluth, guitare baroque, théorbe), particulièrement audibles dans le concerto en ré majeur HWV 323, ou le Largo introductif du HWV 327.

Pour l'opus 6, on admettra que l'équipe renoue volontiers avec l'articulation escarpée et les accents lapidaires du témoignage, torrentueux mais inégal, d’Harnoncourt et son Concentus (Teldec). On citera par exemple les électrochocs de basses dans le Grave du concerto en ut mineur, les accents drus pour l’Ouverture du HWV 138 en ré mineur. Mais c'est l'ensemble du cycle qui bénéficie d'une lecture à haut voltage, dont témoigne l'irrésistible propulsion de l'Allegro du si bémol majeur HWV 325. Sans négliger la suggestivité pittoresque (Polonoise HWV 321) ni l'intelligence des mélanges (le brassage riche d’arrière-plans de la Hornpipe) à laquelle concourt un concertino de solistes ingénieusement intégré à la polyphonie.

Plus avenant, et d'un accès plus aisé pour le mélomane néophyte, car plus mélodieux et agrémenté par les souffleurs (hautbois, flûte à bec, traversière, bassons), l'opus 3 reçoit ici une exécution précise, élégante qui rappelle la lecture lyrique et châtiée des Berlinois de l'Akademie Für Alte Musik (Pentatone). À la fois ronde, vive et lumineuse, mais d'un travail perspectiviste peut-être moins révélateur que pour l'opus 6, cette lecture des six concertos de 1734 conjoint intelligibilité et opulence, offrant du muscle aux transports italianisants (quelle conclusion ébrouée pour le HWV 316 !), un piquant charme aux danses, et tous ses ors aux allégeances de Cour de l'Andante-Allegro du HWV 315. Cette interprétation au trait plein et appuyé manquerait çà et là de souplesse et de raffinement pour combler, mais sur l'ensemble des deux recueils, dans une superbe valorisation éditoriale, la proposition d’Ottavio Dantone saura conquérir l'auditeur par son sang vif, sa texturation généreuse et ses couleurs saturées, brossées sans inhibition.

Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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