Le Beethoven d’Igor Levit : une intégrale qui compte

par

Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Intégrale de sonates pour piano. Igor Levit(piano). 2019-DDD- 9 CD- 10 h 5’- Textes de présentation en allemand et anglais - Sony Classical 19075843182


Lorsque parut en 2013 une nouvelle gravure des cinq dernières sonates de Beethoven par un pianiste de 26 ans dont c’était le premier enregistrement, la critique salua à la fois l’audace de l’interprète, sa remarquable maîtrise technique et, plus encore, une réelle compréhension de ces oeuvres et une inattendue profondeur de la part d’un musicien encore si jeune. Très logiquement donc, Igor Levit a mené son projet d’enregistrer l’intégrale des 32 sonates -donnée dans l’intervalle à plusieurs reprises en concert, notamment à Bozar au cours des saisons 2016-2017 et 2017-2018- à son terme logique en confiant au microphone les 27 autres sonates du maître de Bonn dans un coffret paru juste avant les festivités beethovéniennes qui nous attendent cette année.

Disons-le tout de suite, ce qui nous est livré ici est un Beethoven de très grande allure, une interprétation qui refuse toute superficialité et se veut désireuse -et y parvient souvent- d’aborder l’essence des oeuvres. Si ce Beethoven n’est pas forcément parfait (mais c’est sans doute trop demander), il a le mérite de montrer un interprète au sommet de ses moyens techniques et intellectuels mis au service d’une sincère volonté de parvenir à l’essence même des oeuvres, interrogées avec intelligence et sincérité. On ne trouvera pas ici de poses de pseudo-grand penseur ni de péremptoires démonstrations de vaine virtuosité. Non, tout part du désir d’interroger un texte parfaitement lu et compris. Et, je puis vous l’assurer, il n’y a aucune indication du compositeur qui, sur ces plus de 600 pages de musique, n’aurait été ici respectée.

L’un des principaux mérites de cette intégrale est d’aborder ce pan essentiel de la création de Beethoven comme un tout: il n’y a pas ici de petites ou de grandes oeuvres, des Pathétique, Waldstein ou Clair de lune où briller et d’autres sonates qu’on enregistre parce que intégrale oblige. Bien au contraire, Levit traite chaque sonate comme elle le mérite et montre superbement que ce corpus est véritablement un tout, et ce dès les premières sonates de l’opus 2 qui impressionnent fortement, en particulier la Troisième sonate, Op. 2 n°3, dont l’interprétation est une merveille entre le jaillissement, la virtuosité et l’humour des mouvement rapides et le prenant Adagio que Levit transforme en une espèce de rêve éveillé.

C’est justement cette façon de traiter toutes les sonates comme autant de chefs-d’oeuvre qui permet d’apprécier des oeuvres, certes étudiées dans tous les conservatoires de la planète, mais trop rares au concert comme la Quatrième sonate Op. 7 et son colossal premier mouvement (362 mesures!) magnifiquement traité. La trilogie de l’Opus 10 est pleine d’esprit. Ici, il convient de signaler que si la préférence de Levit pour des tempos  enlevés dans les mouvements rapides n’est généralement pas gênante, elle réduit le finale de l’Opus 10 n°2 à un sprint frénétique, tout comme son interprétation par ailleurs excellente de la Waldstein pèche par un premier mouvement extrêmement rapide (quoique parfaitement maîtrisé) qui donne à la musique un caractère essoufflé. Si Levit offre une splendide version de la Sonate Clair de Lune conclue par un Presto fulgurant, il montre que la sonate-soeur Quasi una fantasia Op. 27 n°1 ne le lui cède en rien, tout comme il se montre exemplaire dans une Pastorale qui est une merveille d’équilibre et de simplicité. L’Appassionata est une réussite totale où le premier mouvement emporte tout sur son passage, Levit n’hésitant pas à faire sentir la vraie violence de la musique, alors que l’Andante con moto est serein et intérieur, avant que le Finale ne nous emporte dans un tourbillon fantastique. 

Les grandes sonates op. 81a Les Adieux et op. 101 sont autant de réussites, alors que que l’op. 90 n’est heureusement pas traitée comme une « petite » sonate, surtout dans le deuxième mouvement dont Levit exprime ici parfaitement toute la nostalgie douce-amère. 

Les cinq dernières sonates -reprises telles quelles de la version de 2013, dans une prise de son certainement supérieure aux enregistrements plus récents- sont au plus haut niveau et se rangent parmi les meilleures versions récentes, même si -venant après un Adagio alliant merveilleusement profondeur, lyrisme et une élégance quasi chopinesque dans les figurations- la Fugue de la Hammerklavier, exécutée certes avec clarté et rigueur, ne fait pas sentir cette lutte de l’esprit contre la matière qu’on perçoit si bien dans les grandes versions de Schnabel, Gilels, Arrau ou Brendel (pour ne citer qu’eux). En revanche, il n’y a que du bien à dire des deux dernières sonates, avec dans l’op. 110 un Adagio non troppo qui voit la beauté de la musique s’élever avec une simplicité confondante avant la Fugue dont le sujet est exposé avec un naturel et un équilibre qui seraient tout à fait à leur place dans une fugue de Bach. Quant à l’op. 111, Levit, après un premier mouvement ferme et décidé, réalise pleinement l’émotion de l’introduction de l’Arietta et parvient à traduire aussi bien les instants d’irréelle sérénité de la musique que ses audaces formelles.

Son 7 (cd 1 à 5), 8 (cd 6-7), 10 (cd 8-9) - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Patrice Lieberman

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