Le pianoforte de van Immerseel pour les sonates de jeunesse de Beethoven

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Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Sonates pour piano n° 5 op. 10 n° 1 ; n° 7 op. 10 n° 3 ; n° 8, op. 13 « Pathétique » ; n° 9 op. 14 n° 1 ; n° 10 op. 14 n° 2 ; n° 12 op. 26 : Marche funèbre ; n° 14, op. 27 n° 2 « Clair de lune » ; n° 15 op. 28 « Pastorale » ; n° 18 op. 31 n° 3 ; Rondo op. 51 n° 2 ; Alla ingharese op. 129 ; Andante Wo0 57. Jos van Immerseel, pianoforte. 2019. Livret en néerlandais, français, anglais et allemand. 214.00. Un coffret de trois CD Alpha 594.

Dans la notice de ce programme qu’il signe lui-même, l’Anversois Jos van Immerseel rappelle qu’il a joué à de nombreuses reprises sur un pianoforte viennois de Conrad Graf qui date de 1826, restauré par les facteurs Derek Adlam et Christopher Clarke. Avec cet instrument, il a enregistré Schubert et Beethoven, mais il explique que si les dernières sonates de ce dernier ne lui posaient pas de problème, un doute s’était installé pour les premières : Je jouais pourtant un magnifique instrument viennois du « début du romantisme » ; n’était-ce pas « le bon instrument » ? Avec l’arrivée en 1988 d’une copie minutieuse d’un piano d’Anton Walter des environs de 1800, restauré lui aussi par Clarke, une évidence s’est installée : J’ai essayé d’y jouer les premières œuvres de Beethoven et je suis resté stupéfait. Tout se mettait en place.

Riche de l’expérience d’une nouvelle gravure des sonates pour violon avec Midori Seiler, après celle de l’intégrale des symphonies du maître de Bonn à la tête d’Anima Eterna, rééditées chez Alpha, Jos van Immerseel a concocté cette fois un menu de pages composées entre 1799 et 1804, avec une volonté de retour aux sources, conscient qu’entre les années 1790 et 1826, la facture de piano avait évolué de façon révolutionnaire. Il propose, sur ce pianoforte Clarke, huit sonates et quelques pièces complémentaires. Dès le début, on est saisi par une atmosphère à la fois délicate, simple et même pudique. Le toucher est d’une infinie finesse, donnant aux Sonates 1 et 3 de l’Opus 10 une sensation de tendresse et de douceur, de clair et d’obscur. C’est peut-être dans les mouvements lents que la rêverie s’installe le plus, comme si elle faisait la part belle à la contemplation et à la suggestion. Van Immerseel s’efforce de découvrir le son authentique, et il nous surprend souvent à écouter d’une autre oreille les sonates « à titre », celles vers lesquelles on va instinctivement, avide de découvrir une autre manière de les aborder. A cet égard, la Clair de lune atteint son but : la manière quasi hypnotique avec laquelle l’œuvre est abordée dans son ensemble englobe aussi bien l’Adagio sostenuto initial que l’Allegretto dont la lumière n’est pas oubliée, ou le Presto agitato dont la fascination ardente est maximale. 

Le paysage beethovenien prend ainsi une autre coloration, avec ces inflexions qui sont à la fois discrètes et joyeuses, ces accents modérés ou mystérieux, ce toucher qui effleure tout en imprégnant les notes de cette subtilité qui relève de la poésie. Cela n’empêche pas les élans (superbe Alla ingharese, qui date sans doute de 1798, ou enthousiasmant Final de la Sonate n° 18), ni le sourd chagrin des modulations de la Marche funèbre extraite de l’opus 26, ni une Pastorale qui sait se révéler confidentielle puis ondulante avec un Scherzo au rythme fantasque et un Final luxuriant. La qualité de l’instrument, qui demandera peut-être un moment d’acclimatation à certains auditeurs, se révèle dans la chaleur profuse d’un son qui ne manque pas d’une certaine acidité mais qui est aussi lustré, avec son ambiance si proche de l’intimité.

On l’aura compris : l’expérience est riche car elle est « différente », dans la recherche de la résonance authentique, gageure sans doute, mais ici fort convaincante. Même la Pathétique, qui ne manque ni de pathos ni d’aspect déclamatoire, exerce sa part d’envoûtement. On se délecte aussi avec un décoratif Rondo op. 51 n° 2 ou avec l’Andante WoO 57 qui clôture ce programme avec son refrain tendre et songeur.

Cet album vient bien à son heure dans cette année de commémoration. Jos van Immerseel nous touche par sa volonté d’aller au plus près de Beethoven. Il réussit à nous faire écouter ces oeuvres d’une oreille attentive, séduite par une aventure que l’on sent mûrie, investie et surtout respectueuse. Cet enregistrement effectué à l’Academiezaal de Saint-Trond est un bel apport à la discographie qui se trouve ainsi complétée avec un goût très sûr.

Son : 9   Livret : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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