Prokofiev démonstratif et tellurique
Serge Prokofiev (1891-1953) : Symphonie n°1 en ré majeur, Op.25 ; Symphonie n°2 en ré mineur, Op.40 ; Symphonie n°2 en Ut mineur, Op.44. Bergen Philharmonic Orchestra, Andrew Litton. 2015-2017. Notice en : anglais, allemand et français. 86’33. SACD BIS 2174.
Avec cet album, Andrew Litton termine son cycle des symphonies de Prokofiev enregistré au pupitre de l’excellent Philharmonique de Bergen. Bien généreusement rempli, cet enregistrement nous offre les trois premières symphonies du Géant russe, oeuvres contrastées situées entre le pastiche néo-classique brillant de la Symphonie n°1 au modernisme conquérant et motorique des Symphonies n°2 et n°3.
De la Symphonie n°1, Andrew Litton retient l’humour et la dérision. Sa direction fait rire jaune les pupitres au fil des nuances et des accents. Il y a certes des lectures plus magistralement impactantes, mais le chef et les musiciens savent présenter une vision cohérente et bien menée. Changement radical de registre avec les deux symphonies futuristes, fruit des expérimentations orchestrales d’un compositeur pris dans le vertige bouillonnant du Paris des années 1920. Mal aimée, la Symphonie n°2 est toute en contraste avec la lave en fusion du premier mouvement et la beauté des timbres froids et constructifs de l’imposant “Thème et variations” qui construit le second mouvement. Litton sait conjuguer la puissance brute à un travail sur les timbres ici absolument superbes tout en galvanisant les dynamiques qui claquent comme l’éclair.
Si la Symphonie n°2 est une œuvre qui peut déconcerter par sa structure étonnante, il n’en va pas de même avec la Symphonie n°3, redoutable partition de démonstration tirée de l’opéra l’Ange de feu. C’est du grand Prokofiev qui déchaîne une puissance orchestrale démoniaque et un sens du rythme et des couleurs vertigineux. On est ici avec une oeuvre de chef qui peut y trouver de quoi jouer de l’orchestre à l’infini : de la formule 1 symphonique. Caréné de partout, le Philharmonique de Bergen fonce tête baissée dans cette pièce tellurique et volcanique. Andrew Litton de son côté concentre la force instrumentale en insistant sur les climax et les pointes saillantes de la partition. Excepté Chailly ou Kondrashin à Amsterdam (Decca ou Philips), personne n’a été si loin dans l’introspection de cette symphonie géniale.
Dès lors, ce final, porté par des lectures magistrales des Symphonies n°2 et n°3, est une pierre angulaire d’une discographie relativement faible si on se base sur un point de vue purement numérique. Dans ce contexte, saluons cette réussite qui bénéficie d’une prise de son d’anthologie. L’une des meilleures, si ce n’est la meilleure, prise de son symphonique de l’année !
Son : 10 Livret : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot