Les Franco-Russes Festival à Toulouse

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Jusqu’au 3 avril, la troisième édition des Musicales Franco-Russes de Toulouse (www.lesmusicalesfrancorusses.fr) a bien lieu à la Halle aux Grains.
Créé en 2019 sous la direction artistique de Tugan Sokhiev, le Festival a déjà connu une existence mouvementée. En effet, si l’édition 2020 a été écourtée en raison de la pandémie, pour cette année, les organisateurs ont dû transformer l’ensemble du festival en version numérique. Sa programmation est certes allégée, mais pas l’intensité. Les quatre concerts de l’Orchestre National de Capitole de Toulouse (ONCT) diffusés en direct sur les réseaux forment le pilier de la manifestation, sans oublier des travaux de l’Académie de direction d’orchestre menée par Tugan Sokhiev et Sabrié Bekirova en partenariat avec le concours La Maestra / Philharmonie de Paris, des rencontres sur la relation entre la France et la Russie par des personnalités de différents domaines, ainsi que des conférences littéraires. Ces événements sont visibles en replay.

Le 19 mars, nous avons assisté au concert symphonique de l’ONCT à la Halle aux Grains. Le jeune chef survitaminé Maxim Emelyanychev (également claviériste) dirige sans baguette un programme Prokofiev-Attahir-Tchaïkovsky. La Symphonie classique, pour laquelle l’on met habituellement accent sur le caractère léger, presque galante, est reconsidérée par Emelyanychev comme une œuvre hyper-dynamique, débordante d’énergie. Il tire le maximum de sonorité dans chaque mouvement, jusqu’à devenir véritablement frénétique dans certains passages des mouvements rapides. Et ceux-ci sont beaucoup plus rapides que le tempo de la plupart de chefs. A dire vrai, c’est la plus rapide que nous connaissions. Le troisième mouvement est marqué par une articulation extrêmement précise ; il ne mâche aucunement les notes, va jusqu’à hacher parfois, ce qui est surprenant pour une « Gavotte », une référence indéniable à la musique de danse élégante et courtoise. Vers la fin du mouvement, les crescendi sont traités comme pour lancer des fusils ! Le final est très rythmique, et on retrouve ce sens de rythme dans la création mondiale de Benjamin Attahir.

La pièce d’Attahir, dont le titre 117 : 2C reste une énigme, est une commande de l’ONCT. Écrite pour un ensemble de cordes, l’œuvre est composée de petites séquences rythmiques qui se multiplient, se superposent et se chevauchent. Elle commence par une répétition obsessionnelle de notes qui rappellent une scène de poursuite dans un thriller. Tout au long de l'oeuvre, des blocs instrumentaux s’opposent, souvent par tessitures, par exemple les violons contre les violoncelles et contrebasses. Ils alternent comme des jeux de chat et de souris, de chaises musicales ou de cache-cache, ou encore en imitation. Notre chef fait jouer chaque « bloc » de manière bien distincte, créant un effet de dialogue de sourds : l’écriture suppose des questions-réponses entre eux, mais on a l’impression d’assister des affirmations successives sans aucune écoute des autres. Dans le programme, au lieu d’offrir une explication de l’œuvre (comment il a composé, sa conception…) le compositeur présente un texte sous forme de poème, tout aussi énigmatique que la pièce, qui commence ainsi :

devenir un nombre
juste une ombre de ce qui a été
là
avant tout ce qui portait pour nom
nous
je ne veux plus dire
non

Une distance se profile en filigrane de ces mots ; est-ce cette distance fuyante qu’il voulait exprimer par ce jeu de poursuite ?
Mais auparavant, Aylen Prytchin a interprété le Concerto n° 2 de Prokofiev. 1er Grand Prix du Concours Long-Thibaud en 2014 et le 4e Prix et Prix du public et de la presse au Concours Tchaïkovsky en 2019, Prytchin hérite d’une belle tradition russe. Sa sonorité généreuse ne l’empêche aucunement d’aller dans le registre du brut et du sauvage si nécessaire, en parfaite connivence avec le chef. Il est à la fois passionné et posé ; de la belle linéarité du 2e mouvement dépasse largement un romantisme apparent, avec sa vivacité joviale mais mûrie. Il donne une belle cohérence entre les différents thèmes et motifs qui semblent parfois assez éloignés.

Pour Roméo et Juliette de Tchaïkovsky, Maxim Emelyanychev peaufine sa danse. En effet, il utilise tout le corps pour diriger, exprime ainsi de tout son être la musique qui est en lui pour faire parler l’orchestre. Son interprétation personnelle met parfois l’accent sur le contrechant ou sur les lignes mélodiques ou rythmiques que l’on n’entend pas forcément de manière évidente. Mais tout au long de l’œuvre, un grand lyrisme est présent, l’opposant aux rythmes (justement !) très marqués. La réaction de l’orchestre évoque la belle entente qu’ils ont nouée au fil de ces dernières années.

Toulouse, La Halle aux Grains, 19 mars 2021

Victoria Okada

Crédits photographiques : Patrice Nin

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