Lina Tur Bonet et Olga Paschenko au Festival Savall de Santes Creus

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Cette année, la programmation du Festival Savall dans ces lieux emblématiques que sont les monastères cisterciens catalans de Poblet et Santes Creus a eu pour devise « La Musique, un appel pour la vie ». En revendiquant, par le choix des artistes et des programmes, la défense d’idées et des valeurs tels que la mémoire, l’écologie, la liberté et les mouvements féministes, en particulier ceux des femmes persécutées en Afghanistan ou dans la Méditerranée orientale. Dans ce sens, mettre en exergue deux grandes interprètes telles que Lina Tur Bonet et Olga Paschenko jouant Fanny Mendelssohn et Clara Wieck-Schumann aux côtés de Franz Schubert ou Ludwig van Beethoven, était un pari aussi intéressant que peu aventureux, car l’on ne pouvait qu’être quasiment sûrs de leur succès. Déjà, le cadre de l’ancien réfectoire monacal, même dans la canicule estivale, invite au recueillement et nous rend propices à une écoute attentive. Ensuite, le talent et la maturité interprétative de ces deux artistes sont bien connus à travers les média, mais il reste toujours cette légère appréhension : la renommée et son « marketing » inhérents vont-ils se traduire en une véritable soirée d’émotions ? Eh bien, oui, ce fut le cas ! Dès ses premières notes, Olga égraine cet enchanteur thème schubertien en La mineur avec délicatesse et élégance tandis que le drame désire percer au travers de ces formules d’accompagnement apparemment anodines qu’elle sait exploiter avec autant d’autorité que d’intelligence. Sa dextérité manuelle est stupéfiante, mais à aucun moment elle ne s’en sert de façon ostentatoire ou gratuite : toujours au service d’un phrasé extrêmement soigné, d’une respiration ou d’un élan émotif. Et surtout, elle est magistrale lorsqu’il s’agit de mettre les notes en relation les unes avec les autres : tensions ou détentes suivent une pensée musicale clairvoyante et toujours créative. Lina lui répond avec un son d’un raffinement divin, avec un archet créatif et une gamme infinie de nuances. Cependant, son attitude musicale nous a semblé quelque peu distante pendant les trois premiers mouvements de cette belle Sonate. Toujours du grand art, bien sûr, mais on dirait qu’elle était plus en train de contempler l’exquis tableau qui se dessinait devant elle qu’à réellement participer à le créer. Cependant, soudain, lors d’un trait en « spiccato » dans l’Allegro conclusif, on aurait dit qu’un guépard est sorti à la chasse et la grande artiste qu’elle est nous a déployé toute sa fougue et tous ses atouts. Et cela n’a pas fléchi jusqu’à la dernière note du concert, magnifiant autant l’Adagio de Fanny Mendelssohn que les trois romances de Clara Schumann !

Je suis particulièrement sensible au fait que ces jeunes interprètes utilisent les instruments « historiques » avec une volonté bien définie d’exploiter au maximum leurs possibilités d’expression musicale plutôt que de rechercher une soi-disant authenticité du son « ancien ». Ce fut l’un de travers du mouvement des « baroqueux » à ses débuts : justifier des exécutions moyennes dans la recherche d’une prétendue « vérité » historique toujours difficile à cerner. En revanche, aussi bien Paschenko que Tur Bonet jouent également des instruments « modernes » ou le clavecin pour la première (rappelons-nous qu’elle avait obtenu deux fois le 2nd prix au Concours de Bruges, au clavecin une année et au fortepiano plus tard). Les écouter dans une œuvre aussi ressassée que la Frühlingssonate beethovenienne et en découvrir une myriade de détails qui passent inaperçus lors des exécutions habituelles ont été un des moments forts de la soirée. Transparence absolue des textures, agilités, foisonnement des couleurs ont parcouru l’Allegro, le Scherzo ou le Rondo. Mais c’est l’Adagio molto espressivo qui leur a permis de donner ailes à une expressivité concentrée et intense, confirmant au plus haut degré ce que nous savions déjà… que ce sont deux grandes artistes au faîte de leur art. 

Un petit bémol à la soirée : les fortepiani de Paul Mcnulty font rêver depuis des années la plupart des pianistes qui les connaissent par leurs qualités habituellement saillantes : son chaleureux, transparence, possibilités interminables de nuances et de contrastes. McNulty a poussé sa recherche du son jusqu’à s’établir au milieu de la forêt de Bohême pour être à la source des meilleurs bois qu’elle produit. Le modèle utilisé ici, un viennois d’après Conrad Graf vers 1820 séduit dans le médium et le grave. Cependant ses aigus étaient plus que ternes, sans éclat. Un problème de réglage ? D’adaptation à la chaleur ou à l’humidité ambiante ? Mauvaise réaction au voyage ? Cela n’a pas semblé déranger Paschenko, toujours royale à son clavier !

Xavier Rivera

Monastère de Santes Creus, Tarragone, le 14 août 2023

Crédits photographiques : Festival Savall de Santes Creus

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