L’orchestre de l’Oural, sincère mais inégal dans la Symphonie no 2 de Rachmaninov

par

Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Symphonie no 2 en mi mineur Op. 27. Dmitry Liss, Orchestre philharmonique de l’Oural. Juillet 2021. Livret en anglais, français, russe. TT 57’11. FUG 816 

Pierre-Jean Tribot salua récemment la réussite de John Wilson dans cette symphonie très bien servie par la discographie, depuis les historiques gravures d’Artur Rodzinski à New York (Columbia), William Steinberg à Pittsburgh (Capitol) et Dimitri Mitropoulos à Minneapolis (RCA). Même si elle ne trône pas au même niveau que les référentiels témoignages de Vladimir Ashkenazy à Amsterdam (Decca), Eugene Ormandy à Philadelphie (CBS), ou André Prévin à Londres (Emi), c'est plutôt une bonne surprise qui se cache sous cette bien terne pochette, laquelle entretiendrait les clichés les plus neurasthéniques autour de Rachmaninov. L'orchestre sibérien propose heureusement une vision moins déprimante et plus colorée de ce compositeur qui figure souvent à ses programmes. « Sa musique me captive toujours par son incroyable sincérité émotionnelle exprimée de manière réservée, noble et aristocratique » explique Dmitry Liss au dos du digipack, et cette connivence s'identifie aisément dans son interprétation qui se déploie avec facilité, aussi maîtrisée que spontanée.

L'introduction Largo s'ouvre par la profonde rumeur creusée par des contrebassistes amplement captés. Saluons au passage une avenante prise de son, vaste, consistante et particulièrement plantureuse. Avouons que les violonistes semblent d'abord un peu placides, mais l'Allegro moderato (4'23) s'enchaîne avec fluidité sans chercher à marquer une rupture de ton. Notons que la reprise du lancinant premier thème n'est pas pratiquée avant d'attaquer le développement -on ne déplorera pas l'éviction de cette redondance que Kurt Sanderling à Londres (Teldec, avril 1989, avec le Philharmonia) fut un des très rares à pratiquer. On se laisse peu à peu conquérir par une architecture ingénieusement construite, tendue vers un climax qui n'exagère pas le pathos. 

On se souvient combien les rigueurs germaniques d’un Lorin Maazel à Berlin (DG) peuvent conduire à assécher l'Adagio. Bien plus souple de geste, Dmitry Liss laisse s’épancher une rêverie lucide et unifiée, sans hiatus avec le second thème (5'01), dans une caution d’authenticité généreusement slavisante mais sans outrance affective, -contrairement à une autre version russe, celle de Mikhail Pletnev (DG), passablement ampoulée. Les pupitres d'Ekaterinbourg avivent la motricité et la tension de l'Allegro molto, réglé au quart de tour. On saluera par exemple l'exemplaire ponctuation des percussions (3’22) qui lancent le grouillant Trio, et globalement une lecture qu’émoustille un légitime brio, rappelant les scintillements de Walter Weller avec le London Philharmonic (Decca).

En revanche, l'accroche du Finale n'optimise pas la lisibilité, les archets tendent à pelucher. Le second thème (en sol dièse mineur, 1'06) semble ensuite un peu pressé et mécaniquement façonné par les bois. Sans faire meilleure impression, le maestro abandonne les plages de lyrisme à une fâcheuse routine. Échouant à s'intégrer sur le temps long, les remobilisations n'en apparaissent que plus anecdotiques ou clinquantes, et culminent sur une conclusion digne des plus vilains tapages tchaïkovskiens. Face aux versions de référence que nous avons citées, le chef coud les différentes sections de cet Allegro vivace avec trop de velléité pour emporter l'adhésion. C'est dommage car hormis cette filouterie, l'exécution des trois premiers mouvements, honnête au meilleur sens du terme, s'avérait d'une efficacité et d'une humilité exemplaires.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.