Michel Portal et Paul Meyer : la passion de deux amis pour la clarinette

par

« Double ». Carl Stamitz (1745-1801) : Concerto pour deux clarinettes et orchestre n° 4. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Concerto pour deux chalumeaux TWV 52 : D1 ; Sonate TWV 40 : 102. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) : Les Saisons : Octobre, Chant d’automne, transcription pour clarinette et quatuor à cordes de Toru Takemitsu. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Konzertstück n° 1 op. 113 et n° 2 op. 114 pour deux clarinettes et orchestre. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Duo pour clarinettes H. 636. Michel Portal, clarinette ; Paul Meyer, clarinette et direction, Orchestre royal de chambre de Wallonie. 2018. Livret en français, en anglais et en allemand. 65.16. Alpha 415.  

Sous la signature de Frédéric Lodéon, la notice de ce CD Alpha qui met en valeur la clarinette souligne l’admiration et l’affection réciproques qui réunissent les clarinettistes français Michel Portal et Paul Meyer. Soliste et chambriste, Michel Portal (°1935), titulaire de premiers prix dans plusieurs concours internationaux, est un musicien éclectique qui s’est adonné à la musique classique, celle de notre temps y compris, mais aussi au jazz et à la musique de film, domaine qui lui a valu trois Césars. Paul Meyer (°1965) a lui aussi remporté des concours internationaux ; plusieurs compositeurs ont composé pour lui, notamment Krzysztof Penderecki, Luciano Berio, Edith Canat de Chizy ou Thierry Escaich. Il s’est aussi intéressé à la direction d’orchestre et a créé l’Orchestre de chambre d’Alsace. Ce n’est pas la première fois que les deux complices de la clarinette enregistrent ensemble. On se souviendra notamment d’un CD EMI d’il y a une bonne vingtaine d’années où ils jouaient des duos concertants de Carl Philipp Emanuel Bach, Mozart et Haydn. Cette fois, ils sont réunis dans un panorama qui met en valeur les répertoires baroque, classique et romantique, avec l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, Paul Meyer étant au four et au moulin puisqu’il est aussi à la tête de la formation.

Le programme s’ouvre par Carl Stamitz, dont le père Johann a été chargé en son temps de l’orchestre de la Cour de Mannheim. Avec son frère Anton, Carl Stamitz est à Paris au Concert spirituel au début des années 1770 ; c’est là qu’à la suite de la rencontre avec le clarinettiste très en vogue Johann Joseph Beer (1744-1812), il écrit à son intention des pièces de musique de chambre et des pages concertantes, dont le Concerto n° 4 pour deux clarinettes, délectable partition en trois mouvements qui allient la séduction à la finesse, l’élégance à la légèreté, dans un climat qui rappelle Mozart. Un détour par le génie que fut Telemann permet de savourer un Concerto pour deux chalumeaux (nom donné aux premières clarinettes) tiré d’un recueil de 1727, ainsi qu’une Sonate. Le découpage en quatre mouvements lent-vif-lent-vif permet d’apprécier toute l’inventivité mélodique du compositeur et les couleurs qu’il distribue. La complicité du duo Portal/Meyer apparaît ici en pleine lumière : le jeu est fait de fluidité et de saveur lumineuse, dans un contexte lyrique qui se joue des arabesques et des volutes abordées d’une manière séduisante et attractive. Les amateurs de sons ciselés avec un art de l’écoute mutuelle seront ravis. Ils le seront tout autant lorsque la Chanson d’automne de Tchaïkovski déploiera son infinie mélancolie dans une transcription des Saisons due au Japonais Toru Takemitsu. Ici, Paul Meyer officie seul et le chant de son instrument engendre une sensation de douce rêverie.    

En 1832 et 1833, au temps de Louis Ier, Mendelssohn écrit pour ses amis de l’Opéra Royal de Munich, les virtuoses Heinrich Baermann (qui a inspiré à Weber ses deux concertos pour clarinette) et son fils Carl, deux brefs Konzertstück pour clarinette, cor de basset et piano, qu’il va vite orchestrer. Les artistes emportent dans leurs bagages, lors de tournées, ces délicieuses partitions en trois mouvements au schéma vif-lent-vif. Meyer et Portal unissent à nouveau toute leur connivence et leur sens du partage dans ces pièces qui, au-delà de la virtuosité flatteuse, créent un espace de finesse, de distinction et de charme aristocratique. En clôture de ce récital amical que l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie soutient avec une belle ferveur, on se régale avec un Duo en deux mouvements de Carl Philipp Emanuel Bach qui aurait été écrit primitivement, selon la notice, pour une horloge musicale. De quoi penser que le temps est une considération immatérielle qui peut prendre toute sa consistance dans un univers de notes savoureuses. Voilà un CD délicat et raffiné, enregistré à la « Maison de l’écoute » Arsonic de Mons en janvier 2018, qui conviendra idéalement aux réchauffements du cœur pendant les longues soirées d’hiver au coin du feu. 

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix  

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.