Boire et danser au XVIIe siècle avec Jean Boyer

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Jean Boyer (avant 1600-1648) : Chansons à boire et à danser. Airs de cour. Ratas del viejo mundo (Michaela Riener, soprano ; Soetkin Baptist, alto ; Indré Jurgeleviciuté, voix et kanklès ; Tomas Maxé, basse ; Jutta Troch, harpe baroque ; Romina Lischka, viole ; Dimos De Beun, clavecin ; Floris De Rycker, théorbe, luth, guitare baroque, cithare et direction). 2019. Livret en anglais en allemand et en français. 53.51. Textes des chansons et des airs en français avec traduction anglaise. Ramée RAM 1910.

Comme le rappelle la notice de Marc Vanscheeuwijck, l’air de cour, un terme utilisé par les compositeurs et éditeurs français pour désigner les chansons de cour strophiques (composées entre 1570 et les années 1650 environ), devint l’un des genres vocaux les plus importants dans le premier tiers du XVIIe siècle français. Quoique très populaire, le genre commença à faire place dans les années 1630 aux « chansons pour boire » et aux « chansons pour danser ». Le gambiste Jean Boyer, dont on ignore la date de naissance, y excella. La notice nous apprend que ce méconnu fit partie de la Chambre du Roi Louis XIII et de la Reine Anne d’Autriche. Il publia en 1636 un Recueil d’airs à boire et à danser, et un autre six ans plus tard, formant un ensemble global de plus de 80 morceaux. Sa production se compose aussi d’airs pour des ballets de Cour et des airs de Cour. Le collectif international Ratas del viejo mundo propose sur le présent CD une sélection d’une petite vingtaine de pièces, chantées ou instrumentales, dont l’appellation même incite à la réjouissance et à la jubilation.

Les Airs de Cour, destinés à quatre ou cinq voix non accompagnées, ou à une voix seule avec accompagnement de luth, évoquent des sentiments amoureux, souvent déçus et en souffrance en raison de l’absence de l’être aimé, ou de rigoureux souvenirs d’une joie passée, ainsi que le suggère le titre d’un poème. Le programme s’ouvre par l’air Absent de vos beaux yeux, léger et fluide, que les voix entrelacées dessinent en arabesques plaisantes, suivies par une pièce instrumentale aux accents nostalgiques. Juste après, le douloureux Que ferai-je ? Que dirai-je ? installe l’auditeur dans un contexte où la nature devient la confidente de la perte. Cet air a fait partie d’un double CD/livre du Poème Harmonique de Vincent Dumestre (Alpha 462) consacré aux Airs de Cour, rendu avec un dynamisme un peu absent de la présente interprétation. Car le souci, dès ce troisième morceau, c’est qu’une certaine monotonie s’installe et crée au fil des pages un sentiment de lassitude. Ce qui peut paraître un comble quand il s’agit de chansons à boire et à danser dont on attend de l’exubérance et de la vie. Certains textes, dont les auteurs ne sont pas précisés, incitent pourtant à la gauloiserie ou à la licence sexuelle (Quand je tiens ma chère bouteille, Donne-moi ton pucelage ou encore Que faisais-tu, gros garçon/Sur la boulangère), mais l’ambiance paraît bridée, contrôlée, étriquée même. Est-ce un choix délibéré des interprètes, comme si la réserve devait modérer l’amusement ou la gaudriole ? La plupart du temps, les voix semblent aseptisées et sont peu riches en contrastes et en couleurs. 

En citant la dédicace de Jean Boyer à un « Monsieur de Flotte, gentilhomme ordinaire de la maison de son Altesse » et la préface de l’édition originale des chansons Au goinfre lecteur, la notice met l’accent sur les termes que le compositeur emploie lui-même : mouvement, grâce, geste agréable, embellissements, génie de la bonne chère… Mais tout cela est traduit et chanté de façon bien terne, parfois jusqu’à l’ennui. Ces chansons à interpréter autour de la table, sans accompagnement instrumental, comme le dit la notice, sont cependant soutenues, selon les circonstances, par une viole, un clavecin monté avec des cordes en boyau, un théorbe, une harpe, un cistre ou un luth. Certains moments nous apportent quand même un peu de raffinement (Beau, voyant votre douceur) ou de la satisfaction : Sombres forêts, noires vallées ou Je veux plutôt vivre pour te servir qui clôture le récital. Soprano, alto ou basse essaient de tirer leur épingle du jeu, sans nous transporter, mais la prononciation n’est pas toujours intelligible et il faut se référer à la lecture des textes pour la compréhension de maints passages. En fait, c’est au niveau de la conception d’ensemble que la déception est patente. Quant aux éventuelles discussions autour du choix des instruments et de leur spécificité, nous laisserons le débat aux spécialistes, mais l’on s’étonnera de la présence du lituanien kanklès à cordes pincées. 

En fin de compte, ce programme enregistré en mars 2019 à l’Augustinus Muziekcentrum d’Anvers, qui devait se révéler festif, engendre de la morosité. Un peu à la manière dont une photographie en noir et blanc montre les visages de cinq des interprètes au début du livret : ils sont bien sérieux ! 

Son : 8  Livret : 7  Répertoire : 7  Interprétation : 5

Jean Lacroix   

 

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